Titre Précedent Suivant Sommaire Index | X. — La halte sous le sapin. — Julien s'endort. — André reprend courage.

X. — La halte sous le sapin. — Julien s'endort. — André reprend courage.

Enfants, la vie entière pourrait être comparée à un voyage où l'on rencontre sans cesse des difficultés nouvelles.
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LE SAPIN DES VOSGES. — Les Vosges sont presque entièrement recouvertes de vastes forêts de pins et de sapins qui atteignent jusqu'à 40 et 50 mètres de hauteur. Ces arbres fournissent un bois excellent pour la charpente des maisons et les mâts des navires.
André s'approcha d'un grand sapin dont les branches s'étendaient en parasol et pouvaient leur servir d'abri contre la rosée nocturne.
— Viens, dit-il à son jeune frère, viens près de moi : nous serons bien là pour attendre.
Julien s'approcha, silencieux ; André s'aperçut que, sous l'humidité glaciale du brouillard, l'enfant frissonnait ; ses petites mains étaient tout engourdies par le froid.
— Pauvre petit, murmura André, assieds-toi sur mes genoux : je vais te couvrir avec les vêtements renfermés dans notre paquet de voyage ; cela te réchauffera, et, si tu peux dormir en attendant que le brouillard se lève, tu reprendras des forces pour la longue route qu'il nous reste à faire.
L'enfant était si las qu'il ne fit aucune objection. Il passa un de ses bras autour du cou de son frère, ses yeux fatigués se fermèrent et bientôt il s'endormit.
Sa petite tête reposait confiante sur l'épaule d'André. Celui-ci, de son mieux, protégeait l'enfant contre la fraîcheur de la nuit, et il écoutait sa respiration tranquille : ce bruit léger troublait seul le silence qui les enveloppait dans cette grande solitude de la montagne où ils étaient perdus.
André, malgré lui, sentit une immense tristesse lui monter au coeur.
— Réussirons-nous jamais à arriver en France ? se disait-il. Quelquefois les brouillards durent plusieurs jours. Qu'allons-nous devenir si celui-ci tarde à se dissiper ?
Une fatigue extrême s'était emparée de lui. La bise glaciale, qui faisait frissonner les pins, le faisait lui aussi trembler sur le sol où il était assis. Parfois le vent soulevait autour de lui les feuilles tombées par terre ; inquiet, André dressait la tête, craignant que ce ne fût le bruit de pas ennemis et que quelqu'un tout à coup ne se dressât en face de lui pour lui dire en langue allemande : — Que faites-vous ici ? Qui êtes-vous ? Où allez-vous ?
Ainsi le découragement l'envahissait. Mais alors un cher souvenir s'éleva en son coeur et vint à son aide. Il se rappela le regard profond de son père mourant, lorsque celui-ci avait placé la main de Julien dans la sienne pour le lui confier ; il crut entendre encore ce mot plus faible qu'un souffle passer sur les lèvres paternelles : France. Et lui aussi le redit tout bas ce mot : France ! patrie !... Et il se sentit honteux de son découragement.
— Enfant que je suis, s'écria-t-il, est-ce que la vie n'est pas faite tout entière d'obstacles à vaincre ? Comment donc enseignerai-je à mon petit Julien à devenir courageux, si moi-même je ne sais pas me conduire en homme ?
Réconforté par ce souvenir plus puissant que tous les obstacles, il ne voulut plus douter du succès de ce voyage vers la patrie perdue ; il sut mettre à attendre le même courage qu'il avait mis à agir.