Titre Précedent Suivant Sommaire Index | XI. — Le brouillard se dissipe. — Arrivée d'André et de Julien sur la terre française.

XI. — Le brouillard se dissipe. — Arrivée d'André et de Julien sur la terre française.

Quand on a été séparé de sa patrie, on comprend mieux encore combien elle vous est chère.
Peu à peu la douce tranquillité du sommeil de Julien sembla gagner André, lui aussi. Dans l'immobilité qu'il gardait pour ne pas éveiller l'enfant, il sentit ses yeux s'appesantir par la fatigue. Il eut beau lutter avec fermeté contre le sommeil, malgré lui ses paupières se fermèrent à demi.
Après un temps assez long, comme il était à moitié plongé dans une sorte de rêve, il lui sembla, à travers ses paupières demi-closes, apercevoir une faible clarté. Il tressaillit, et, secouant par un dernier effort le sommeil qui l'envahissait, il ouvrit les yeux tout grands. Le brouillard était encore autour de lui, mais il était devenu à demi lumineux. De pâles rayons pénétraient à travers la brume : la lune venait de se lever.
Bientôt la brume elle-même devint moins épaisse, elle se dissipa comme un mauvais rêve. A travers chacune des branches du vieux sapin, les étoiles brillantes se montrèrent dans toute leur splendeur, et à peu de distance la vieille tour qu'André avait tant cherchée se dressa devant lui inondée de lumière.
Le coeur d'André battit de joie. Il serra son jeune frère dans ses bras.
— Réveille-toi, mon Julien, s'écria-t-il ; regarde ! le brouillard et l'obscurité son dissipés ; nous allons pouvoir enfin repartir.
— Combien la montagne est belle, dit-il, à présent que la voilà toute éclairée par ces jolis rayons de lune !... Ah ! voici la vieille tour ; André, nous n'avons pas perdu la bonne route, partons vite.
Aussitôt on refit les paquets de voyage. Cette gaie lumière avait fait oublier les fatigues précédentes. Les deux enfants reprirent allègrement leur bâton ; tout en marchant, on mangea une petite croûte de pain, et on se rafraîchit en partageant une pomme que la mère Étienne avait mise dans la poche de Julien.
Les enfants continuèrent à marcher courageusement le reste de la nuit, et aussi vite qu'ils pouvaient. Le ciel était si lumineux que la route était devenue facile à reconnaître. Leur seule préoccupation était à présent d'échapper aux surveillants de la frontière, jusqu'à ce qu'on eût franchi le col de la montagne qui sépare en cet endroit la France des pays devenus allemands. Les jeunes voyageurs s'avançaient avec attention, sans bruit, passant comme des ombres à travers ce pays boisé.
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COL DES VOSGES. — Un col est un passage étroit entre deux montagnes, d'un versant à l'autre. Quand on arrive en haut d'un col, on aperçoit derrière soi le versant de la montagne qu'on vient de gravir, et devant soi celui qu'on va descendre.
Ce fut vers le matin qu'ils atteignirent enfin le col.
Alors, se trouvant sur l'autre versant de la montagne, les deux enfants virent tout à coup s'étendre à leurs pieds les campagnes françaises, éclairées par les premières lueurs de l'aurore. C'était là ce pays aimé vers lequel ils s'étaient dirigés au prix de tant d'efforts.
Le coeur ému, songeant qu'ils étaient enfin sur le sol de la France, que le voeu de leur père était accompli, qu'ils venaient de conquérir par leur courage et leur volonté persévérante leur titre de Français, il se jetèrent joyeusement dans les bras l'un de l'autre, et André s'écria :
— France aimée, nous sommes tes fils, et nous voulons toute notre vie rester dignes de toi !
Lorsque le soleil parut, empourprant les cimes des Vosges, ils étaient déjà loin de la frontière, hors de tout danger ; et, se tenant toujours par la main, ils marchaient joyeusement sur une route française, marquant le pas comme de jeunes conscrits.