IX. — Le nuage sur la montagne. —
Inquiétude des deux enfants.
Le courage ne consiste pas
à ne point être ému en face d'un danger, mais à
surmonter son émotion : c'est pour cela qu'un enfant peut être
aussi courageux qu'un homme.
Après
un petit temps de repos ils se remirent en route. Mais tout à coup
l'obscurité augmenta. Julien effrayé se serra plus près de
son grand frère.
LE NUAGE SUR LA MONTAGNE : Les nuages sont
formés de la vapeur d’eau qui s’échappe de la mer, des
fleuves et de la terre : ils ne sont pas toujours très
élevés en l’air ; fréquemment ils se
traînent sur les montagnes et on les voit flotter sur leurs flancs. Les
voyageurs qui gravissent une montagne entrent souvent dans les nuages ; ils
se trouvent alors au milieu d’un épais brouillard et courent le
danger de se perdre.
Bientôt
les étoiles qui les avaient guidés jusqu'alors disparurent. Un
nuage s'était formé au sommet de la montagne, et, grossissant peu
à peu, il l'avait enveloppée tout entière. Les enfants
eux-mêmes se trouvèrent bientôt au milieu de ce nuage.
Entourés de toutes parts d'un brouillard épais, ils ne voyaient
plus devant eux.
Ils s'arrêtèrent,
bien inquiets ; mais tous deux, pour ne pas s'affliger l'un l'autre,
n'osèrent se le dire.
— Donne-moi ton paquet,
dit André à Julien ; je le joindrai au mien ; ton
bâton sera libre, il me servira à tâter la route comme font
les aveugles, afin que nous ne nous heurtions pas aux racines ou aux pierres.
J'irai devant ; tu tiendras ma blouse, car mes deux mains vont être
embarrassées ; mais je t'avertirai, je te guiderai de mon mieux.
N'aie pas peur, mon Julien. Tu ne vas plus avoir rien à porter, tu
pourras marcher facilement.
— Oui, dit l'enfant d'une
voix tremblante qu'il s'efforçait de rendre calme.
Ils se remirent en marche,
lentement, avec précaution. Malgré cela, André à un
moment se heurta contre une de ces grosses pierres qui couvrent les chemins de
montagne ; il tomba, et faillit rouler du haut des rochers,
entraînant avec lui le petit Julien.
Les deux enfants comprirent
alors le danger qu'ils courraient.
— Asseyons-nous, dit
André tout ému, en attirant Julien près de lui.
— André,
s'écria Julien, nous avons des allumettes et un bout de bougie. Le garde
a dit de ne les allumer que dans un grand besoin ; crois-tu qu'il serait
dangereux de les allumer maintenant ?
— Non, mon Julien ;
la brume est si épaisse que notre lumière ne risque pas
d'être aperçue et d'attirer l'attention des soldats allemands qui
gardent la frontière.
André, en achevant ces
mots, alluma sa petite bougie, et Julien fut bien étonné de voir
quelle faible et tremblante lueur elle répandait au milieu de
l'épais brouillard. Pourtant on se remit en marche aussitôt, car il
fallait être en France avant le lever du soleil. Julien, qui
n'était plus embarrassé de son paquet, prit la bougie d'une main,
et, la protégeant de l'autre contre le vent, il avança, non sans
trébucher souvent sur le chemin pierreux.
Ce qu'André craignait
surtout, c'était de s'être égaré au milieu de la
brume. Au bout de quelques instants il prit le papier sur lequel il avait
marqué le plan de sa route, et, suivant du regard la ligne qui devait lui
indiquer son chemin, il se demanda : "Est-ce bien cette ligne que je
suis ?"
Puis il dit à
Julien : — Si nous avons marché sans nous tromper, nous devons
être assez près d'une vieille tour en ruine ; mais je ne la
vois point. Toi qui as d'excellents yeux, regarde toi-même, Julien.
Julien regarda, mais il ne vit
rien non plus.
Ils reprirent leur marche,
cherchant avec anxiété à percer du regard les
ténèbres. Mais ils n'apercevaient toujours point la vieille tour.
De plus la bougie touchait à sa fin ; elle s'éteignit. Les
deux enfants n'avaient plus qu'un parti à prendre : s'arrêter,
attendre.