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XXXV. — Les montagnes du Jura. — Les
salines. — Les grands troupeaux des communes conduits par un seul
pâtre. — Associations des paysans jurassiens.
Que de peines nous nous
épargnerions les uns aux autres, si nous savions toujours nous entendre
et nous associer dans le travail !
Après
déjeuner, on quitta Besançon. Pierrot marchait bon train comme un
animal vigoureux et bien soigné. Julien et André regardaient avec
grand plaisir le pays montagneux de la Franche-Comté, car ils
étaient assis tous les deux à côté du patron sur le
devant de la voiture, d'où ils découvraient l'horizon.
A chaque étape du voyage,
on déchargeait la voiture, et chacun, suivant ses forces, le patron
aussi, allait porter dans les divers magasins les marchandises qu'on avait
amenées. Il fallait faire bien des courses fatigantes, et souvent assez
tard dans la soirée ; mais le patron était juste : il
nourrissait bien les enfants, et on dormait dans de bons lits. Nos deux
orphelins étaient si heureux de gagner leur nourriture et leur voyage
qu'ils en oubliaient la fatigue.
On s'arrêta à
Lons-le-Saunier et à Salins, qui doivent leurs noms à leur
prospérité à leurs puits de sel. Les enfants purent voir en
passant ces grands puits d'où on tire sans cesse l'eau salée, pour
la faire évaporer dans des chaudières.
ÉVAPORATION DES EAUX
SALÉES. — On trouve dans la terre de grandes masses de
sel,
tantôt ces masses de sel sont dures comme le roc, et on se sert pour les
briser du pic et de la pioche ; tantôt elles sont fondues dans des
sources souterraines. Alors on puise l'eau salée avec des
pompes et on la fait évaporer
dans de larges
chaudières ou
dans des
réservoirs : quand
l'eau est évaporée, on retrouve le sel au fond des
réservoirs.
En quittant Lons-le-Saunier,
M. Gertal mit le cheval au pas. — Voici une rude journée pour
Pierrot, dit-il, car nous allons monter sans cesse. Le village des Rousses,
où nous nous rendons, est en pleines montagnes, sur la frontière
suisse.
En effet, la route ondulait
continuellement en côtes et en descentes rapides. Par moments on
apercevait les hautes cimes du Jura montrant au loin leurs premières
neiges, et de noirs sapins poudrés de givre s'étalaient sur les
flancs escarpés de la montagne.
Carte de la
Franche-Comté – ce pays montagneux
où les sommets du Jura atteignent jusqu’à 1700 mètres
est arrosé par de nombreux cours d’eau. Là où le sol
est pauvre et pierreux, les habitants suppléent par l’industrie
à l’insuffisance de l’agriculture. C’est une population
intelligente, pleine d’ordre et d’économie.
— Regarde, Julien, dit
André : voilà un pays qui ressemble aux Vosges.
— Oui, dit l'enfant, cela
me fait songer au jour où nous avons traversé la montagne pour
passer en France.
— Le Jura, en effet, a
plus d'un rapport avec les Vosges, dit le patron ; mais il a des cimes plus
élevées.
—
On voit déjà des neiges tout en haut, dit Julien.
— Eh oui, mon ami ;
aussi nous ne nous attarderons pas longtemps dans ce pays : il y aura
bientôt des neiges partout.
Lorsqu'on arriva au bourg des
Rousses, le soleil venait de se coucher ; c'était l'heure où
les vaches descendaient toutes à la fois des pâturages de la
montagne pour rentrer aux étables. On arrêta Pierrot, afin de ne
pas effaroucher les bonnes bêtes ; celles-ci s'en revenaient
tranquillement, faisant sonner leurs clochettes dont le bruit rustique
emplissait la vallée.
Julien
n'avait jamais été à pareille fête, car il n'avait
pas encore vu un si nombreux troupeau ; aussi il s'agitait de plaisir dans
la voiture.
— Regarde bien, Julien,
s'écria M. Gertal, et observe ce qui va se passer.
— Oh ! dit Julien, je
regarde si bien toutes ces belles vaches que je suis en train de les
compter ; mais il y en a tant que c'est impossible.
— Ce sont toutes les
vaches de la commune réunies en un seul troupeau, dit M. Gertal, et
il n'y a pour les conduire qu'un pâtre, appelé le pâtre
communal.
PÂTRE COMMUNAL FAISANT
RENTRER LES VACHES DANS LE JURA. — Toutes les vaches d'une commune, dans
le Jura, sont souvent conduites par un seul pâtre, et tous les
cultivateurs s'entendent pour le payer ; de cette façon cela
coûte moins cher, et les enfants de la commune ont le temps d'aller
à l'école et de s'instruire.
—
Tiens ! s'écria Julien, qui regardait avec plus d'attention que
jamais ; les unes s'en vont à droite, les autres à gauche,
celles-là devant ; voilà tout le troupeau divisé, et
le pâtre qui ne bouge pas pour les rappeler ; à quoi
pense-t-il ?
— N'as-tu pas entendu
qu'il a sonné de la trompe ? Eh bien, dans le bourg chacun est
prévenu par ce son de trompe : on a ouvert les portes des
étables, et, si le troupeau se divise, c'est parce que chacune des vaches
prend le chemin de son étable et s'en va tranquillement à sa
crèche.
— Oh ! vraiment,
monsieur Gertal, vous croyez qu'elles ne se tromperont pas ?
Jamais elles ne se
trompent ; elles rentrent ainsi tous les soirs ; et tous les matins,
à l'heure du départ, il suffit encore au pâtre communal de
sonner de la trompe : aussitôt, dans le village, chacun ouvre les
portes de son étable ; les vaches sortent et vont se réunir
toutes à un seul et même endroit, où le pâtre les
attend pour les conduire dans les belles prairies que nous avons vues le long du
chemin.
— Oh ! que
voilà des vaches intelligentes ! dit André.
— Oui, certes, reprit
Julien ; mais il y a autre chose à remarquer que l'intelligence du
troupeau ; c'est celle des habitants du pays, qui s'entendent de bonne
amitié pour mettre leurs troupeaux en commun et ne payer qu'un seul
pâtre, au lieu de payer autant de pâtres qu'il y a de fermes et de
troupeaux.
— Tiens, c'est vrai, cela,
dit André ; c'est une bonne économie de temps et d'argent
pour chacun. Mais pourquoi n'en fait-on pas autant partout, monsieur
Gertal ?
— Ce n'est pas partout
facile. De plus tout le monde ne comprend pas le bienfait qu'il y a à
s'entendre et à s'associer ensemble. Chacun veut tout faire seul, et tous
y perdent. Pour moi, ajouta M. Gertal, je suis fier d'être Jurassien,
car c'est dans mon pays que, pour la première fois en France, cette
grande idée de s'associer a été mise en pratique par les
cultivateurs.