Titre Précedent Suivant Sommaire Index | XXXVI. — Les grands fromages de gruyère. — Visite de Julien à une fromagerie. — Les associations des paysans jurassiens pour la fabrication des fromages.

XXXVI. — Les grands fromages de gruyère. — Visite de Julien à une fromagerie. — Les associations des paysans jurassiens pour la fabrication des fromages.

Le pays le plus heureux sera celui où il y aura le plus d'accord et d'union entre les habitants.
Le lendemain on se leva de bonne heure. M. Gertal avait acheté la veille au soir des marchandises qu'il s'agissait de charger dans la voiture. Il y avait de ces énormes fromages dit de Gruyère qu'on fait dans le Jura, et Julien était tout étonné à la vue de ces meules de fromages pesant vingt-cinq kilogrammes, qu'il n'aurait pas pu soulever. Il regardait avec admiration André les mettre dans la voiture.
En allant faire une commission pour le patron, Julien fut introduit dans une fromagerie où se trouvait le fruitier auquel il devait parler : on appelle fruitier, dans le Jura, celui qui fait les fromages. Le fruitier était aimable ; en voyant Julien ouvrir de grands yeux surpris pour regarder la fromagerie, il lui demanda ce qui l'étonnait tant que cela.
— Oh ! dit Julien, c'est cette grande chaudière que je vois là sur le feu. Elle est aussi grande qu'une barrique et elle a l'air pleine de lait.
— Tout juste, enfant ; il y a là trois cents litres de lait à chauffer pour faire du fromage.
— Mais, dit le petit Julien, j'ai appris d'une fermière de Lorraine que souvent une vache ne donne pas plus de deux cents litres de lait en un mois ; vous avez donc bien des vaches, vous, monsieur, pour avoir ainsi trois cents litres de lait à la fois !
images/TDFWebFull037.jpg
UNE FROMAGERIE DANS LE JURA. — Dans la Franche-Comté comme en Suisse, on fabrique une grande quantité de fromages, surtout de Gruyère. On verse le lait dans de vastes chaudières, on l'y fait chauffer, on le fait cailler avec la présure : puis on le retire du feu et on le verse dans un grand moule. Ensuite on le presse pour en faire sortir toute l'eau ; on le sale, et, après l'avoir laissé quatre ou cinq mois dans la cave, on l'expédie dans tous les pays.
— Moi, dit le fruitier, je n'en ai pas une. Et dans tout le bourg il n'y a personne assez riche pour en avoir, à lui seul, une quantité capable d'alimenter la fromagerie. Mais les fermiers s'associent ensemble : ils apportent leur lait tous les jours, de façon que je puisse emplir ma grande chaudière. Alors je mesure le lait de chacun, et je marque sur une coche le nombre de litres qu'il a donnés. Quand les fromages sont faits et vendus, on me paie pour ma peine, et les fermiers partagent ente eux le reste de l'argent avec justice, suivant la quantité de lait que chacun a fournie.
— Alors celui qui n'a qu'une vache peut aussi apporter du lait et avoir sa part ?
— Pourquoi pas, mon petit homme ? Il est aussi content, et il a plus besoin qu'un autre de voir son lait bien employé.
— Cela doit donner bien des fromages dans une année, toutes les vaches que j'ai vues dans la montagne !
— Je crois bien ; notre seul département du Jura possède plus de cinquante mille vaches et fabrique par an plus de quatre millions de kilogrammes de fromages. Et nous faisons tout cela en nous associant, riches comme pauvres, d'un bon accord ; car, voyez-vous, enfant, en apportant chacun sa pierre, la maison se fait sans peine.
— Oh ! dit Julien, que j'aime votre pays, où tout le monde sait si bien s'entendre ! Mais comment peut-il n'y avoir jamais d'erreur dans le partage et dans les comptes ?
— Quand tout le monde veut la justice, chacun y veille, enfant. Chez nous, tout se passe honnêtement, parce que tout se fait au grand jour, sous la surveillance de tous et avec l'avis de tous.
Le petit Julien, pour rattraper le temps qu'il avait passé à écouter le fruitier, s'en revint en courant de la fromagerie. Tout en marchant vite, il songeait à ce qu'avait dit la veille M. Gertal sur les associations du Jura, et, arrangeant tout cela dans sa petite tête, il se disait : — Quelle bonne chose de s'entendre et de s'aider les uns les autres !