Titre Précedent Suivant Sommaire Index | XXXVII. — Le travail du soir dans une ferme du Jura. — Les ressorts d'horlogerie. — Les métiers à tricoter. — L'étude du dessin. — Utilité de l'instruction.

XXXVII. — Le travail du soir dans une ferme du Jura. — Les ressorts d'horlogerie. — Les métiers à tricoter. — L'étude du dessin. — Utilité de l'instruction.

Instruisez-vous quand vous êtes jeunes ; plus tard, quelque métier que vous embrassiez, cette instruction vous y rendra plus habile.
Ce n'était point à une auberge qu'on était descendu, mais chez un cultivateur des Rousses, ami de M. Gertal.
Le patron passa une partie de la soirée à faire ses affaires chez ses clients, et les deux enfants restèrent dans la ferme située non loin du fort des Rousses qui défend la frontière ; car les Rousses sont le dernier bourg de France sur la frontière suisse.
Lorsque la nuit fut tout à fait venue, la fermière alluma deux lampes. Près de l'une les deux fils aînés s'établirent. Ils avaient devant eux toute sorte d'outils, une petite enclume, des marteaux, des tenailles, des limes, de la poudre à polir. Ils saisirent entre leurs doigts de légers rubans d'acier qu'ils enroulaient en forme de spirale après les avoir battus sur l'enclume.
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RESSORT DE MONTRE
André s'approcha d'eaux tout surpris ; leur travail, qui lui rappelait un peu la fine serrurerie, l'intéressait vivement.
— Que faites-vous là ? demanda-t-il.
— Voyez, nous faisons des ressorts de montre. Dans nos montagnes on fabrique les différentes pièces des montres, de sorte qu'à Besançon on n'a plus qu'à les assembler pour faire la montre même. Moi, je fabrique des ressorts, d'autres font les petites roues, les petites chaînes qui se trouvent à l'intérieur, d'autres les cadrans émaillés où les heures sont peintes, d'autres les aiguilles qui marqueront l'heure ; d'autres enfin façonnent les boîtiers en argent ou en or.
— Que tout cela est délicat, dit André, et quelle attention il vous faut prendre pour manier cet acier entre vos doigts ! Je m'en fais une idée, moi qui suis serrurier.
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LE TRAVAIL DU SOIR DANS UNE FERME DU JURA. — C'est dans les fermes du Jura que se fabriquent en grande quantité les ressorts de montre les plus délicats. En passant près des fermes, il est rare qu'on n'y entende pas le bruit du marteau ou de la lime. — Le métier à bas, auquel travaille la fermière de droite, a été inventé par un Français, un ouvrier serrurier des environs de Caen. Avec ce métier on fabrique, bien plus vite qu'avec la main, des bas presque aussi solides.
— C'est assez délicat, en effet : soupesez ce ressort et voyez comme il est léger. Avec une livre de fer, on peut en fabriquer jusqu'à 80 000, et, quand ils sont bien réussis, ils peuvent valoir jusqu'à 10 francs chacun.
— 10 francs chaque ressort ! dit André. S'il y en a 80 000, cela fait 800 000 francs, et tout cela peut se tirer d'une livre de fer qui coûte si peu ! Mon patron serrurier avait bien raison de dire que ce qui donne du prix aux choses, c'est surtout le travail et l'intelligence de l'ouvrier.
Tandis que les deux jeunes ouvriers en horlogerie causaient ainsi avec André, la fermière s'était assise avec sa fille auprès de l'autre lampe. Elle avait un métier à faire les bas et travaillait avec activité. Pendant ce temps, le plus jeune des enfants faisait son devoir pour l'école du lendemain.
— Oh ! pensa Julien, qui n'avait rien perdu de tout ce que l'on faisait et disait, je vois qu'il n'y a pas que la Lorraine où l'on sache bien travailler. C'est égal, je n'aurais jamais cru que ce fût dans les fermes que l'on fît les choses délicates de l'horlogerie.
Julien, tout en réfléchissant ainsi, s'approcha du jeune enfant qui travaillait à ses devoirs. Il fut surpris de voir qu'il dessinait, et que son cahier était couvert de rosaces et d'étoiles, de fleurs, d'animaux, de jolies figures d'ornementation qu'il avait tracées lui-même.
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DESSINS D'ORNEMENTATION. — Les dessins d'ornementation imitent avec art les formes des plantes et des animaux, ainsi que les figures géométriques les plus élégantes, cercle, ovale, spirale, etc.
— Quoi ! lui dit-il, vous avez appris le dessin déjà ?
— Il faut bien, dit l'enfant ; le dessin est si utile aux ouvriers ! Il nous sert beaucoup pour tous les travaux que nous faisons pendant l'hiver.
— Oui, reprit la fermière ; nous avons huit mois d'hiver sur la montagne ; durant ces longs mois, la neige couvre tout, et il faut rester chez soi auprès du feu. Il y a même des villages où l'on est si enveloppé par les neiges de toutes parts, qu'on ne peut plus communiquer avec le reste du pays. La terre ne nous donnerait pas de quoi vivre si nous ne travaillions beaucoup et si nous restions ignorants. Mais nous avons besoin de bonnes écoles, où on apprend même le dessin et les travaux d'horlogerie. Quand on est bien instruit, on gagne mieux sa vie.
Le petit Julien trouva tout cela fort sage ; il se rappela que la mère Gertrude lui avait dit que la France ouvre de jour en jour plus d'écoles pour instruire ses enfants.
— Moi qui veux bien travailler quand je serai grand, pensa-t-il, je ne perdrai pas mon temps à l'école. La fermière a raison ; pour faire des choses difficiles, il faut être instruit.