Titre Précedent Suivant Sommaire Index | XXXIX. — L'ascension du mont Blanc. — Les glaciers. — Effets de la rareté de l'air dans les hautes montagnes. — Un savant courageux : de Saussure. |
XXXIX. — L'ascension du mont Blanc. — Les
glaciers. — Effets de la rareté de l'air dans les hautes montagnes.
— Un savant courageux : de Saussure.
C'est l'amour de la science
et le courage des savants qui ont fait faire de nos jours tant de progrès
à l'humanité.
Lorsqu'on
remonta en voiture, Julien était encore tout ému ; il ne
cessait de regarder du côté du mont Blanc pour revoir ces neiges
éternelles dont on lui avait tant parlé.
— Est-ce que nous allons
passer par la Savoie, monsieur Gertal ? demanda-t-il.
— Point du tout, mon ami.
Une fois notre marché fait dans la petite ville de Gex, nous tournerons
le dos à la Savoie.
— C'est grand dommage, fit
l'enfant : ce doit être bien beau à voir un pays pareil. Y
êtes-vous allé, monsieur Gertal ?
— Oui, petit Julien,
plusieurs fois.
— Est-ce que vous
êtes monté au mont Blanc ?
— Oh ! pour cela non,
mon ami. C'est plus difficile à faire que tu ne l'imagines, l'ascension
du mont Blanc.
— Pourquoi donc, monsieur
Gertal ?
— D'abord, il faut marcher
deux journées, toujours en montant, comme bien tu penses, et la marche
n'est pas facile. Ces hautes montagnes ont sur leurs flancs de vastes champs de
glace et de neige durcie qu'on appelle
glaciers. L'un des glaciers qui sont au
pied du mont Blanc a huit kilomètres de large sur vingt-quatre de
long : c'est une vaste mer de
glace, tantôt unie comme un miroir, tantôt bouleversée
comme les flots de la mer dans la tempête. Quand on marche sur ces
glaciers aux pentes rapides, il faut des souliers ferrés exprès
pour ne pas glisser, des bâtons ferrés pour se retenir. On arrive
souvent devant des murs de glace qui barrent le chemin : alors il faut
creuser à coups de hache dans la glace une sorte d'escalier où
l'on puisse poser le pied. Puis il y a des
crevasses plus profondes que des
puits ; la neige glacée les recouvre, mais, si on s'aventure par
mégarde sur cette neige trop peu épaisse, elle craque, se brise,
et on tombe au fond du gouffre.
ASCENSION DU MONT BLANC ET
PASSAGE DES GLACIERS. — Il y a des montagnes tellement hautes ou
difficiles à gravir que nul pied humain n'est jamais parvenu jusqu'au
sommet. Le mont Blanc est resté de ce nombre jusqu'au siècle
dernier. Maintenant que les chemins sont très connus, il faut encore 17
à 20 heures pour y monter et 8 à 10 pour en redescendre.
—
J'ai entendu dire, fit André, que l'on s'attachait avec une même
corde plusieurs ensemble, de façon que, si l'un tombe, les autres le
retiennent ; est-ce vrai, monsieur Gertal ?
— Certainement,
répondit le patron ; c'est ce que j'allais raconter ; mais
quelquefois la chute de l'un entraîne les autres. Puis, on est
exposé aux avalanches qui se détachent du haut de la montagne et
qui peuvent vous engloutir. En outre, le froid devient tel, à mesure
qu'on s'élève, qu'il faut s'envelopper le visage d'un masque en
gaze pour que la peau ne se fendille pas jusqu'au sang. Enfin, la
difficulté de respirer sur ces hauteurs est si grande, qu'on peut
à peine se traîner ; des hommes très robustes ne
peuvent marcher plus de vingt-cinq pas sans s'arrêter pour se reposer et
respirer.
— C'est étonnant,
cela, dit Julien : moi, je trouve l'air si pur sur les hauteurs, qu'il me
semble qu'on y respire mieux.
— Oui, dit le patron,
quand on est pas trop haut ; mais, à mesure qu'on
s'élève, l'air devient plus rare, l'air vous manque, André
doit savoir cela.
— Oui, monsieur :
j'ai même appris à l'école que, si on pouvait
s'élever à 60 kilomètres au-dessus de la terre, il n'y
aurait plus d'air du tout, et on ne pourrait ni respirer ni vivre.
— Eh bien, sur le sommet
du mont Blanc, il y a déjà deux fois moins d'air que dans la
plaine ; aussi est-on obligé de respirer deux fois plus vite pour
avoir sa quantité d'air. Alors le coeur se met à battre aussi
moitié plus vite, on a la fièvre, on sent ses forces s'en aller,
on est pris d'une soif ardente et en même temps d'un invincible besoin de
dormir, et le tout au milieu d'un froid rigoureux. Si l'on se laisse aller
à dormir, c'est fini, le froid vous engourdit et on meurt sans pouvoir se
réveiller.
— Oh ! oh ! dit
Julien, je comprends qu'il n'y ait pas grand monde à se risquer
jusque-là ; mais qui donc a jamais osé monter le premier au
mont Blanc ?
— C'est un hardi
montagnard nommé Jacques Balmat : il y est allé seul la
première fois, puis, il a aidé un grand savant nommé de
Saussure à y monter. C'est de Saussure qui a observé au sommet du
mont ce que je vous disais tout à l'heure sur la rareté de l'air.
Il a fait beaucoup d'autres expériences ; par exemple, il a
allumé du feu, mais son feu avait la plus grande peine à
brûler à cause du manque d'air ; il a déchargé
un pistolet, mais ce pistolet ne fit guère plus de bruit qu'un
pétard de confiseur, car c'est l'ébranlement de l'air qui produit
le son, et là où il y a moins d'air, tout son devient plus faible.
De Saussure fut bien surpris aussi de voir, du haut du mont, le ciel presque
noir et d'apercevoir des étoiles en plein jour ; cette couleur
sombre du ciel est produite encore par la rareté de l'air, car c'est
l'air qui, quand il est en grande masse, donne au ciel sa belle couleur bleue.
Toutes ces expériences et bien d'autres encore ont été
très utiles pour le progrès de la science ; mais à
combien de dangers il a fallu s'exposer d'abord pour les faire !
Tu vois,
petit Julien, comme l'amour de la science est une belle chose, puisqu'il donne
le courage de risquer sa vie pour s'instruire et pour instruire les
autres.