XV. — Une visite à la laiterie. — La
crème. — Le beurre. — Ce qu'une vache fournit de beurre par
jour.
Un bon agriculteur doit se
rendre compte de ce que chaque chose lui coûte et lui rapporte
—
Quel joli plancher, propre et bien carrelé ! dit Julien en entrant
dans la laiterie. Tiens, les fenêtres et toutes les ouvertures sont
garnies de treillis de fer, comme une prison ; pourquoi donc,
madame ?
—
C'est pour que les mouches, les rats et les souris ne puissent entrer. Avant les
malheurs de la guerre nous étions plus à l'aise : j'avais six
vaches au lieu d'une, je faisait beaucoup de beurre ; aussi ma laiterie
comme mon étable est soigneusement installée. Voyez, ce carrelage
dont elle est recouverte permet de la laver à grande eau, et cette eau
s'écoule par les rigoles que voici. Il faut au lait une grande
propreté, et tout doit reluire chez une fermière qui sait son
métier.
— Comme il fait frais
ici ! reprit Julien en s'avançant dans la salle un peu sombre,
autour de laquelle étaient rangées des jattes de lait.
LA LAITERIE ET LA FABRICATION
DU BEURRE. — La France produit d'excellents beurres, principalement la
Normandie et la Bretagne : on les expédie jusqu'en Allemagne et en
Angleterre. Nous en vendons à l'étranger pour 40 000 000 de francs
par an.
—
Mon enfant, il faut qu'il fasse frais dans une laiterie. S'il faisait chaud, le
lait aigrirait, et la crème n'aurait pas le temps de monter à la
surface. Regardez ces grands pots : ils sont tout couverts d'une
épaisse croûte blanche que je vais enlever avec la cuiller pour la
mettre dans la baratte : c'est la crème. Passez le doigt sur ma
cuiller, et goûter.
Julien goûta.
— C'est meilleur encore
que le lait, cette bonne crème.
— Je le crois bien, dit la
fermière. Maintenant, avec cette crème, nous allons faire le
beurre.
Et, versant dans la baratte
toute la crème qu'elle avait recueillie, elle se mit à battre avec
courage.
Au bout de quelque temps, elle
s'arrêta, et levant le couvercle : — Voyez, Julien, dit-elle.
L'enfant regarda et vit flotter dans la baratte de légers flocons jaune
paille, qui étaient déjà nombreux. — Oh ! dit-il
enchanté, voilà le beurre qui se fait.
Pendant qu'on causait, le beurre
s'acheva. La fermière l'égoutta et le lava avec soin, car le
beurre bien égoutté et lavé se conserve mieux. Puis elle
mit en boules et chargea Julien de dessiner avec la pointe du couteau de petits
losanges sur le dessus.
Il s'appliqua consciencieusement
à cette besogne, et le beurre avait bonne mine quand Julien eut
achevé son dessin.
— Mais,
s'écria-t-il, toute la crème n'est pas devenue du beurre ;
qu'est-ce que tout cela qui reste ?
— C'est le petit-lait. On
le donnera aux porcs délayé avec de la farine pour les engraisser.
Au besoin, j'en fais aussi de la soupe quand nous n'avons pas grand'chose
à manger.
— Il faut donc bien du
lait pour faire du beurre ? demanda Julien tout surpris.
— Eh oui, cher enfant.
Quinze litres de lait de Bretonne ne font qu'un kilogramme de beurre, et
pourtant Bretonne, comme les vaches de sa race, est une merveille. Il y a
d'autres vaches dont il faut jusqu'à vingt-cinq litres pour faire un
kilogramme de beurre. Mais, Julien, vous allez devenir savant dans les choses de
la ferme comme si vous vouliez être un jour fermier, vous aussi.
L'enfant rougit de plaisir.
— Vrai, dit-il, c'est un métier que j'aimerais mieux que tous les
autres. Mais, dites-moi encore, je vous prie, combien Bretonne vous donne-t-elle
de lait par jour ?
— Sept litres au plus,
l'un dans l'autre.
— Alors il faut donc plus
de deux jours à Bretonne pour vous donner un kilogramme de
beurre ?
—
Précisément. Mais comme vous comptez bien, mon enfant ! Il y
a plaisir à causer avec vous.
Un instant après, la
fermière sortit de la laiterie avec le jeune garçon, et tous deux
portaient à la main de belles boules de beurre, enveloppées dans
des feuilles de vigne que Julien était allé cueillir.