XIV. — La vache. — Le lait. — La
poignée de sel. — Nécessité d'une bonne nourriture
pour les animaux.
Des animaux bien
soignés font la richesse de l'agriculture, et une riche agriculture fait
la richesse du pays.
Le reste
de l'après-midi se passa gaîment. — Puisque vous avez tant
envie d'être utiles, dit la fermière lorraine aux deux orphelins,
je vais vous occuper à présent.
Vous, André, je vous
prie, surveillez mes enfants : ils arrivent de la classe, et ils ont leurs
devoirs à faire. Pendant que vous me remplacerez auprès d'eux,
Julien va venir avec moi : nous soignerons la vache et nous ferons le
beurre pour le marché de demain.
—
Oui, oui, dit le petit garçon ; et il sautait de plaisir à
l'idée de voir la vache, car il aimait beaucoup les animaux.
— Prenez ce petit banc en
bois et cette tasse, lui dit la fermière ; moi, j'emporte mon
chaudron pour traire la vache.
Julien prit le banc, et arriva
tout sautant à l'étable.
— Oh !
s'écria-t-il en entrant, qu'elle est jolie, cette petite vache noire,
avec ses taches blanches sur le front et sur le dos ! Comme son poil est
lustré et cornes brillantes ! Et quels grands yeux aimables elle
a ! Je voudrais bien savoir comment elle se nomme.
— Nous l'appelons
Bretonne, dit la fermière en atteignant une botte de foin aromatique
qu'on recueille dans les montagnes, et qui donne au lait un goût si
parfumé ; elle y ajouta de la paille.
— Tenez, Julien, dit-elle,
portez-lui cela : elle est douce parce que nous l'avons toujours
traitée doucement ; elle ne vous fera pas de mal.
Julien prit le fourrage et
l'étala devant le râtelier de Bretonne ; pendant ce temps la
fermière s'était assise sur le petit banc, son chaudron à
ses pieds, et elle commençait à traire la vache. Le lait tombait,
blanc et écumeux, dans le chaudron en fer battu, brillant comme de
l'argent.
— Julien, dit la
fermière, apportez votre tasse ; je veux que vous me disiez si le
lait de Bretonne est à votre gré.
L'enfant tendit sa tasse, et,
quand elle fut remplie, il la vida sans se faire prier. — Que cela est
bon, le lait tout chaud et frais tiré ! dit-il. Voilà la
première fois que j'en goûte.
— Puisque vous êtes
content du lait de Bretonne, cherchez dans la poche de mon tablier, dit la veuve
sans s'interrompre de sa besogne ; ne trouvez-vous pas une poignée
de sel, Julien ?
— Oui, que faut-il donc en
faire ?
— Prenez-le dans votre
main, et présentez-le à Bretonne, vous lui ferez grand
plaisir.
— Quoi ! fit l'enfant
en voyant la vache passer sa langue avec gourmandise sur le sel qu'il lui
présentait dans la main, elle aime le sel comme du sucre !
VACHE BRETONNE. — La
France possède un grand nombre d'excellentes vaches laitières,
parmi lesquelles on compte la vache bretonne qui, lorsqu'elle est bien
soignée, peut donner du lait tout en travaillant aux champs. Les vaches
flamandes et normandes donnent une quantité de lait plus grande encore,
mais à condition qu'on ne les fasse pas travailler.
—
Oui, mon enfant, tous les animaux l'aiment, et le sel les entretient en bonne
santé ; nous aussi nous avons besoin de sel pour vivre, et, si nous
en étions privés, nous tomberions malades. Vous admiriez tout
à l'heure le poil lustré de Bretonne et ses yeux brillants. Eh
bien, si elle a cette bonne mine, c'est qu'elle est bien nourrie, bien
soignée, et qu'on lui donne tout ce qu'il lui faut.
— Alors vous lui donnez du
sel tous les jours ?
— Pas à la main, ce
serait trop long. Nous faisons fondre le sel dans l'eau, et nous arrosons le
fourrage avec cette eau salée au moment de lui présenter.
— Qu'est-ce qu'on lui fait
encore après cela pour qu'elle ait cette jolie mine ?
— On la tient proprement,
Julien. Voyez-vous comme sa litière est sèche et propre. Pour
qu'une vache donne beaucoup de lait et qu'elle se porte bien, il lui faut une
litière souvent renouvelée. Si je la laissais sur un fumier humide
comme font bien des fermières, son lait diminuerait vite et serait plus
clair. Voyez aussi comme l'étable est haute d'étage : elle a
trois mètres du sol au plafond.
Les fenêtres sont
placées tout en haut et donnent de l'air aux bêtes sans les exposer
au froid. Certes, Bretonne est bien logée.
— Pourquoi l'appelle-t-on
Bretonne ? dit Julien, qui s'intéressait de plus en plus à la
bonne vache.
— C'est qu'elle est de
race bretonne, en effet, dit la fermière en se levant, car elle avait
fini de la traire. La Bretagne est bien loin, mais cette bonne petite race est
répandue par toute la France. Voyez, Bretonne n'est pas grande ;
aussi elle n'est pas coûteuse à nourrir, et nous, qui ne sommes pas
riches, nous avons besoin de ne pas trop dépenser. Son lait contient
aussi plus de beurre que celui des autres races, et j'ai des pratiques qui me
prennent tout le beurre que je fais. Et puis, la race bretonne est robuste,
très utile dans les pays montagneux ; au besoin je puis faire
travailler ma petite vache sans qu'elle en souffre. Elle sait labourer ou
traîner un char avec courage.
— Bonne Bretonne !
dit Julien en caressant une dernière fois la vache.
L'enfant prit le petit banc, et,
tandis que la fermière emportait le lourd chaudron de lait, on se dirigea
vers la laiterie.