XLVIII. — La plus grande usine de
l'Europe : le Creusot. — Les hauts fourneaux pour fondre le fer.
La puissance de l'industrie
et de ses machines est si grande qu'elle effraie au premier abord ; mais
c'est une puissance bienfaisante qui travaille pour l'humanité.
Après
une longue journée de marche, la nuit était venue, et
déjà depuis quelque temps on avait allumé les lanternes de
la voiture ; malgré cela il faisait si noir qu'à peine y
voyait-on à quelques pas devant soi.
Tout à coup le petit
Julien tendit les bras en avant :
— Oh ! voyez,
monsieur Gertal ; regarde, André ; là-bas, on dirait un
grand incendie ; qu'est-ce qu'il y donc ?
— En effet, dit
André, c'est comme une immense fournaise.
M. Gertal arrêta
Pierrot : Prêtez l'oreille, dit-il aux enfants ; nous sommes
assez près pour l'entendre.
Tous écoutèrent
immobiles. Dans le grand silence de la nuit on entendait comme des sifflements,
des plaintes haletantes, des grondements formidables. Julien était de
plus en plus inquiet : — Qu'y a-t-il donc ici ?monsieur
Gertal ? Bien sûr, il arrive là de grands malheurs.
— Non, petit Julien.
Seulement nous sommes en face du Creusot, la plus grande usine de France et
peut-être d'Europe. Il y a ici quantité de machines et de
fourneaux, et plus de seize mille ouvriers qui travaillent nuit et jour pour
donner à la France une partie du fer qu'elle emploie. C'est de ces
machines et de ces énormes fourneaux chauffés à blanc
continuellement que partent les lueurs et les grondements qui nous
arrivent.
—
Quel grand travail, dit Julien !
— Oh ! monsieur
Gertal, s'écria André, si vous voulez me permettre demain d'aller
un peu voir cette usine, je serai bien content. Vous ne savez pas comme cela
m'intéresserait de voir préparer ce fer que nous autres serruriers
nous façonnons.
LE CREUSOT est ainsi
appelé parce qu'il est situé dans le creux d'une vallée.
Là, s'est établie une des plus grandes usines de l'Europe dont on
voit dans la gravure les cheminées fumer. Autour de l'usine s'est
bientôt groupée toute une population d'ouvrier ; une ville
s'est ainsi formée, qui compte maintenant 30 600 habitants et
s'accroît sans cesse.
—
Nous irons tous les trois, enfants, quand la besogne sera faite : en nous
levant de grand matin nous aurons du temps de reste.
Le lendemain avant le jour nos
trois amis étaient debout ; on se diligenta si bel et si bien que
les affaires furent faites de bonne heure, et on se dirigea vers l'usine.
Julien, que son frère tenait par la main, était tout fier
d'être de la partie.
— Il y a trois grandes
usines distinctes dans l'établissement du Creusot, dit le patron qui le
connaissait de longue date : fonderie, ateliers de construction et
mines ; mais voyez, ajouta-t-il en montrant des voies ferrées sur
lesquelles passaient des locomotives et des wagons pleins de houille, chacune
des parties de l'usine est reliée à l'autre par des chemins de
fer ; c'est un va-et-vient perpétuel.
—
Mais, dit Julien, c'est comme une ville, cette usine-là. Quel grand bruit
cela fait ! et puis tous ces mille feux qui passent devant les yeux, cela
éblouit. Un peu plus, on aurait grand'peur.
— A présent que
nous entrons, dit André, ne me lâche pas la main, Julien, de
crainte de te faire blesser.
— Oh ! je n'ai garde,
dit le petit garçon ; il y a trop de machines qui se remuent autour
de nous et au-dessous de nous. Il me semble que nous allons être
broyés là-dedans.
UN HAUT FOURNEAU. — Les
hauts fourneaux sont des espèces de tours solides qu'on remplit par en
haut de
minerai
de fer. Une fois que le haut fourneau est allumé, on le remplit jour et
nuit sans interruption pour avoir la plus grande chaleur possible jusqu'à
ce que les murs usés se fendent et éclatent. A mesure que le fer
se fond, il tombe en dessous, dans un réservoir.
— Non, petit Julien ;
vois, il y a là des enfants qui ne sont pas beaucoup plus
âgés que toi et qui travaillent de tout leur coeur ; mais ils
sont obligés de faire attention.
— C'est vrai, dit le petit
garçon en se redressant et en dominant son émotion. Comme ils sont
courageux ; Monsieur Gertal, je ne vais plus penser à avoir peur,
mais je vais vous écouter et bien regarder pour comprendre.
— Eh bien, examine
d'abord, en face de toi, ces hautes tours de quinze à vingt
mètres : ce sont les hauts fourneaux que nous voyions briller la
nuit comme des brasiers. Il y en a une quinzaine au Creusot. Une fois
allumés, on y entretient jour et nuit sans discontinuer un feu
d'enfer.
— Mais pourquoi a-t-on
besoin d'un si ardent brasier ?
— C'est pour fondre le
minerai de fer. Quand le fer vient
d'être retiré de la terre par les mineurs, il renferme de la
rouille et une foule de choses, de la pierre, de la terre ; pour
séparer tout cela et avoir le fer plus pur, il faut bien faire fondre le
minerai. Mais songe quelle chaleur il faut pour le fondre et le rendre fluide
comme de l'huile ! A cette chaleur énorme, le fer et les pierres
deviennent liquides, mais le fer, qui est plus lourd, se sépare des
pierres et tombe dans un réservoir situé au bas du haut fourneau.
Les hauts fourneaux du Creusot produisent ainsi chaque jour plus de 500 000
kilogrammes de fer ou de fonte.