XLI. — Arrivée en Bourgogne. —
L'Ain. — Les volailles de Bresse. — André et Julien devenus
marchands.
Ce n'est pas tout
d'économiser, il faut savoir faire fructifier ses économies.
Nos
voyageurs, tout en causant, avaient depuis longtemps quitté le
département du Jura ; ils étaient maintenant en Bourgogne,
dans le département de l'Ain.
De
la voiture, on apercevait déjà le clocher de la petite ville de
Gex, connue par les fromages qui portent son nom.
—
Enfants, dit le patron, nous voici arrivés à Gex ; il s'agit
à présent de travailler ferme. Nous aurons une journée de
fatigue aujourd'hui, et pas une minute à perdre.
Nos trois amis furent en effet
si occupés tout la journée qu'ils n'eurent pas le temps de manger
autre chose qu'un petit pain de deux sous en courant ; mais personne ne
songea à s'en plaindre. La vente était bonne, le patron radieux,
et les enfants enchantés comme s'il se fût agi de leurs propres
intérêts.
Tout en se hâtant de faire
les commissions, Julien regardait le pays tant qu'il pouvait. De la ville de
Gex, on aperçoit encore le lac de Genève et les belles Alpes de
Savoie. Julien tournait souvent les yeux de ce côté : ne
pouvant aller en Savoie, il voulait du moins emporter dans son souvenir l'aspect
de ce beau pays. — Comme cela, disait-il, je vais finir par savoir ma
géographie de la France sur le bout du doigt. Quand je retournerai
à l'école, je serai sûrement le premier, et je serai bien
content.
Deux jours après, on
traversa, sans s'y arrêter, la ville de Bourg, située dans la
plaine fertile de la Bresse.
— Mes enfants, dit alors
M. Gertal, je suis content de vous, vous travaillez avec courage. Cela
m'engage à vous venir en aide. Vous avez emporté d'Epinal quelques
petites économies, je veux vous montrer à les faire fructifier.
Tout en travaillant pour moi, vous travaillerez pour vous : ce sera une
sorte d'association que nous ferons ensemble. Ecoutez-moi. La Bresse est connue
partout pour ses excellentes volailles. Je vais acheter avec votre argent, dans
une ferme des environs, une vingtaine de belles poulardes, que vous vendrez au
marché de Mâcon, où nous allons nous rendre. Si peu que vous
gagniez sur chaque poularde, cela vous fera sur le tout une somme assez ronde.
Ne serez-vous pas contents ?
— Oh, dit Julien, je crois
bien, monsieur Gertal. Vous êtes bien bon pour nous, et je vais poliment
m'appliquer à vendre, allez !
- Oui, dit André, nous
vous en serons bien reconnaissants, monsieur Gertal, car souvent je songe avec
inquiétude au terme de notre voyage. J'ai peur de ne point retrouver
notre oncle à Marseille, ou bien je crains qu'il ne soit obligé de
retourner en Alsace pour obtenir que nous soyons Français. Si nous
pouvions arriver là-bas avec quelques économies, je serais moins
tourmenté.
— Il ne faut point
t'inquiéter comme cela, mon garçon. Avec du courage, de la
persévérance et du travail, on vient à bout des choses les
plus difficiles. Celui qui veut absolument se tirer d'affaire y arrive.