XC. – Les lumières de la mer. – La
mer phosphorescente, les aurores boréales, les phares.
Autrefois, pendant les tempêtes, les peuplades
sauvages allumaient des feux sur le rivage de la mer pour attirer les vaisseaux,
les faire périr contre les écueils et se partager leurs
dépouilles. De nos jours, tout le long des côtes, de grandes
lumières s'allument aussi chaque soir ; mais ce n'est plus pour
perdre les navires, c'est pour les guider et les sauver. Les hommes comprennent
mieux maintenant qu'ils sont frères.
Un soir, pendant que le brave pilote
était à son gouvernail car le navire avait regagné la haute
mer, Julien s'approcha du père Guillaume. C'était l'heure du
coucher du soleil, et au loin, dans le grand horizon de la mer, on voyait le
soleil s'enfoncer lentement dans les flots comme un globe de feu. Les gerbes de
flammes dessinaient un immense sillon sur les vagues, et toute la pourpre des
cieux à cet endroit se réfléchissait dans les eaux.
Julien s'était assis, croisant les bras ; il
regardait le coucher du soleil, qui lui semblait bien beau, êt il
attendait que son vieil ami fût disposé à lui parler des
choses de la mer.
– Petit Julien, dit le matelot, qui devinait la
pensée de l'enfant, tu regardes ces flots tout embrasés par le
soleil couchant, eh bien, j'ai vu quelque chose de plus beau encore.
– Qu'était-ce donc ? fit l'enfant avec
curiosité.
– C'était ce qu'on appelle la mer
phosphorescente.
– C'est donc bien beau, cela, père
Guillaume ?
– Je crois bien ! Ce n'est plus comme ce soir un
point de l'Océan qui s'allume ; c'est l'Océan tout entier qui
ruisselle de feu et brille la nuit comme une étoffe d'argent. Quand avec
cela le vent souffle, les lames qui s'élèvent ressemblent à
des torrents de lumière.
– Est-ce que nous allons peut-être voir
cela ?
– Non, mon enfant, c'est assez rare dans nos pays.
C'est entre les deux tropiques que cela se voit pendant la nuit.
– Qu'est-ce qui fait cela ? savez-vous,
père Guillaume ?
– Les savants ont bien cherché, va, Julien.
Enfin, il paraît que ce sont des myriades de petits animaux qui sont
eux-mêmes lumineux, comme l'est dans nos pays le ver luisant. Les flots en
contiennent en certains temps une si grande quantité que la mer en
paraît comme embrasée.
UN DES ANIMALCULES DE LA MER qui produisent la
phosphorescence des eaux. Cet animal est invisible à l'oeil nu ; il
est représenté ici tel qu'il apparaît à travers le
microscope.
–
Oh ! bien, je comprends, père Guillaume : s'il y avait assez de
vers luisants sur un arbre pour le couvrir, il paraîtrait le soir comme un
grand lustre allumé ; je pense que c'est comme cela pour la mer.
Mais, tout de même, faut-il qu'il y ait de ces petits animaux dans la mer
pour qu'elle paraisse tout en feu, elle qui est si grande !
– Les plus gros de ces animaux ne sont pas aussi gros
qu'une tête d'épingle.
– Oh ! père Guillaume, comme cela m'amuse,
tout ce que vous me dites là ! Racontez-moi encore quelque
chose.
– Je viens de te parler des mers chaudes, des mers
tropicales ; eh bien, Julien, les mers polaires, c'est tout autre chose.
Là, on ne voit que des glaces sans fin ; si le navire a peine
à avancer, c'est que des bancs de glace se dressent comme des montagnes
flottantes et vous enveloppent sans qu'on puisse bouger. Parfois, sur ces
îles de glace, on aperçoit des phoques ou des ours blancs qui se
sont trouvés entraînés au milieu de la mer.
LA MER POLAIRE. – Du côté des
pôles, la mer est glacée presque toute l'année et souvent
à une très grande profondeur. Parfois les glaces se
détachent et voyagent sur l'eau, c'est ce qu'on appelle des
banquises.
Ces banquises offrent l'aspect le plus merveilleux : elles sont
dentelées comme des cathédrales et étincellent à la
lumière du jour ou à celle de la lune. Quand ces énormes
masses viennent à rencontrer un vaisseau, elles se brisent comme une
coque de noix.
–Est-ce que vous avez vu cela, père
Guillaume ?
– Non, mais je l'ai entendu dire à
d'autres qui y sont allés ; moi, je n'ai jamais été
plus haut que Terre-Neuve, où l'on pêche la morue.
– Pourquoi d'autres vont-ils plus haut, père
Guillaume, puisque c'est si dangereux ?
– Petit Julien, c'est que l'on voudrait trouver un
passage libre par le pôle, une mer libre de glaces, et étudier ce
côté-là qu'on ne connaît pas.
– Père Guillaume, est-ce qu'au pôle les
nuits ne durent pas six mois et les jours six mois ? J'ai vu cela dans mon
livre de lecture.
– C'est très vrai.
– Comme on doit s'ennuyer d'être six mois sans y
voir !
LE PHOQUE, OU VEAU MARIN, est un mammifère qui
habite les mers septentrionales de l'Europe. Le corps des phoques est couvert de
poils ; par devant il ressemble à celui d'un
quadrupède ; par derrière il se termine en pointe comme celui
des poissons. Ces animaux sont doux, intelligents et s'attachent facilement
à l'homme. Ils viennent souvent sur la côte pour y dormir et
allaiter leurs petits.
– On est
éclairé souvent par des aurores boréales.
– En avez-vous vu, de ces aurores, père
Guillaume ?
L'AURORE BORÉALE, ou lumière polaire, se
montre fréquemment dans les pays voisins du nord (Sibérie,
Zélande, Laponie, Norvège). C'est, le plus souvent, une sorte
d'immense arc enflammé qui s'élève au-dessus de l'horizon.
L'aurore boréale est produite par l'électricité.
–
Oui, j'en ai vu : les plus belles se montrent aux pôles, mais on en
voit ailleurs aussi. Ce sont des lueurs rouges qui s'élèvent dans
le ciel comme un incendie, des dômes de feu, des colonnes de flammes qui
changent sans cesse de couleur et de forme, tantôt bleues, tantôt
vertes, tantôt éblouissantes de blancheur : ces flammes
éclairent de loint tout le pays, mille fois mieux que les phares qui
s'allument en ce moment le long de la côte.
La nuit, en effet, était venue pendant que Guillaume
et Julien parlaient ainsi, et dans le lointain, à travers une brume
légère, on voyait la lueur rouge, blanche ou bleue, des phares
placés sur les pointes les plus avancées de la presqu'île
bretonne, qui dessinaient ainsi dans la nuit les contours de la côte.
Tantôt c'étaient des feux fixes, tantôt des feux à
éclipses qui semblaient s'éteindre et se rallumer tour à
tour, et qui, tournant sur eux-mêmes, éclairaient successivement
toutes les parties de l'horizon.
– Que tous ces phares sont beaux à voir !
disait Julien ; c'est une vraie illumination.
– Tout cela est fait pour nous éclairer dans
notre route ; les phares tiennent compagnie au navigateur et lui indiquent
le bon chemin. Tu ne peux te faire une idée, petit Julien, combien cette
côte de Bretagne était dangereuse autrefois. Il y a là des
rochers qui ont mis en pièces je ne sais combien de navires : leurs
noms font penser à tous les désastres qu'ils ont
causés ; dans la Baie des
Trepassés, que de morts on y a retrouvés rejetés par
les vagues ! Les jours de tempête, la mer se brise sur tous ces
rochers avec un tel bruit qu'on l'entend sept lieues à la ronde. Il se
produit aussi des tourbillons où tout vaisseau qui entre se trouve
englouti, tel le gouffre du diable.
Mais maintenant les plus dangereux de ces rochers portent chacun leur phare, et
alors, au lieu d'être un péril pour les marins, ils leur sont une
aide et semblent s'avancer eux-mêmes dans la mer pour mieux les
guider.