XCI. – Il faut tenir sa parole. – La
promesse du père Guillaume.
La parole d'un honnête homme vaut un
écrit.
– Père Guillaume, dit le
lendemain le petit Julien, pour savoir autant de choses que vous savez, il faut
donc qu'il y ait bien longtemps que vous allez sur mer ?
– Eh ! oui, petit, répondit le pilote tout
en regardant l'Océan qui était toujours un peu agité ;
voilà déjà vingt-cinq ans que je roule sur toutes les mers,
et par tous les temps.
– Et cela ne vous ennuie pas, père Guillaume,
d'être toujours ainsi sur l'eau, exposé aux
tempêtes !
– Petit, dit sentencieusement le père
Guillaume, chaque métier a ses tracas, et celui de matelot n'en manque
point ; mais j'ai choisi celui-là et je m'y suis tenu ; la
chèvre broute où elle est attachée. Et puis je suis
Normand, moi, et les Normands aiment la mer.
– Tout de même, père Guillaume, moi,
j'aimerais mieux les champs que la mer, à cause des tempêtes,
voyez-vous.
– Oh ! bien, petit, j'essaierai des champs
prochainement.
– Comment ? vous ne serez plus marin, père
Guillaume ?
– Non ; ma femme a hérité, du
côté de Chartres, d'un petit bien sur lequel nous ne comptions
pas : nous nous installerons à mon retour dans son héritage.
Cela l'ennuie, la pauvre femme, et mes filles aussi, de me savoir toujours au
péril de la mer. Même elles auraient bien voulu que je ne fisse
point cette dernière traversée, et par le plus mauvais temps de
l'année. Le fait est que nous avons une mer qui a déjà
failli nous jouer un mauvais tour et qui n'est pas encore bien
calmée.
– Et vous, vous avez préféré
faire la traversée, père Guillaume ? Vous aimez joliment la
mer, tout de même.
– Oh ! je ne me souciais guère de la mer,
petit, mais on ne fait pas toujours comme on veut. Moi qui n'ai jamais
été propriétaire, j'aurais été
enchanté d'essayer tout de suite de nouveau
métier-là ; aussi j'ai demandé au capitaine de me
laisser m'en aller. « Guillaume, m'a-t-il dit, tu sais bien que tu
m'avais promis de venir : je comptais sur toi, et il m'est impossible en ce
moment de trouver un bon pilote pour ce dernier voyage. Mais nous n'avons pas
d'engagement par écrit, tu es donc libre ; tant pis pour moi qui
n'ai que ta promesse et qui ne t'ai rien fait signer. » –
« Ah !bien, capitaine, ai-je répondu, vous pensez donc que
ma parole ne vaut pas tous les écrits ? Puisque vous ne pouvez vous
passer de moi, je reste. » Et je suis resté.
Julien poussa un gros soupir. – Eh bien, dit le marin,
que soupires-tu comme cela ?
– Dame, je songe qu'à votre place j'aurais eu
grande envie de m'en aller, moi ! Avoir des champs à soi qui vous
attendent, et venir ici s'exposer à des tempêtes comme celle de
l'autre jour ! C'est tout de même bien dur, quelquefois, de tenir les
paroles données.
– Dur ou non, mon enfant, un honnête homme n'a
qu'une parole ; s'il l'a donnée, tant pis pour lui, il ne la reprend
pas : autrement ce n'est plus un honnête homme. Dis-moi, Julien, si
j'avais écrit sur un papier : « Je m'engage à vous
suivre, capitaine, » les mots seraient restés après
l'héritage comme avant, n'est-ce pas ? Et si j'avais manqué
à mon engagement, il aurai suffi à chacun de jeter les yeux sur
l'écriture pour penser : « Guillaume trahit sa
parole. » Eh bien, parce qu'il n'y avait pas de papier pour dire cela,
t'imagines-tu, Julien, que ma conscience ne me le disait pas ?
Le père Guillaume se redressa tout droit, et il
regarda le petit garçon fièrement : ses yeux limpides
brillaient et semblaient dire : « Guillaume ne sait pas mentir, petit
Julien ; sa parole vaut de l'or, et quand tous ses cheveux, l'un
après l'autre, seront devenus blancs, quand Guillaume sera un vieillard
bien vieux, il se redressera encore avec la même fierté, car il
pourra dire : – Mon visage a changé, mais mon coeur est
toujours le même. »
Alors Julien se sentit rougir d'avoir un instant
pensé autrement que le vieux matelot. Il s'approcha doucement, baissant
les yeux, et lui dit :
– Père Guillaume, j'ai compris ; et moi
aussi, je ne veux jamais ni mentir, ni manquer à mes promesses.