XCV. – La Normandie (suite) : ses champs et
ses bestiaux.
Un grand homme de l'Amérique disait : –
Si l'on demande à quelqu'un quel est le pays qu'il aime le mieux, il
nommera d'abord le sien ; mais, si on lui demande ensuite quel est le pays
qu'il voudrait avoir comme seconde patrie, il nommera la France.
– Père Guillaume,
demanda encore Julien, y-a-t-il de bonnes terres en Normandie ?
– Je le crois bien, petit. La Normandie est l'un des
sols les plus fertiles de la France. Nous avons des prairies sans pareilles,
où les nombreux troupeaux qu'on y élève ont de l'herbe
jusqu'au ventre. C'est dans le Cotentin, dans mon pays, que chaque année
on vient acheter les boeufs gras qui sont ensuite promenés à
Paris, et qui sont bien les plus beaux qu'on puisse voir. Les chevaux normands,
dont la ville de Caen fait grand commerce, sont connus partout : nos
moutons de prés salés
sont célèbres. Tu sais, petit Julien, on les appelle ainsi parce
qu'ils paissent des herbes que le vent de la mer a salées. Enfin, mon
ami, nos fermières font du beurre et des fromages que tout le monde se
dispute ; nous envoyons par millions en Angleterre les oeufs de nos
basses-cours, et nos belles poules de Crèvecoeur sont une des races les
plus estimées. La campagne est tout ombragée d'arbres fruitiers,
de pommiers qui nous donnent un excellent cidre, de cerisiers dont les bonne
cerises approvisionnent l'Angleterre. Que veux-tu que je te dise, Julien ?
la Normandie est une des provinces les plus riches et les plus fertiles de notre
France.
BOEUF DU COTENTIN. – Les boeufs du Cotentin sont de
haute taille avec une robe brune rayée de noir. Cette race est excellente
pour l'engraissement. Les vaches normandes sont renommées comme
laitières.
COQ DE CRÈVECOEUR. – C'est un coq
magnifique ; sa crête est ornée de deux cornes ; sa
tête porte une huppe de belles plumes qui sont, comme le reste du plumage,
d'un noir lustré. Les poules de Crèvecoeur sont excellentes pour
l'engraissement, un peu moins bonne pour la ponte. Cette espèce fournit
les plus belles et les plus fines volailles des marchés de Paris.
– Mais,
père Guillaume, quelle est donc entre toutes la plus fertile ?
M. Gertal m'a répété que la Bourgogne est sans
pareille ; Toulouse a des plaines couvertes de blé ; mon oncle
Frantz, en me faisant voir Bordeaux, m'a expliqué que ses vins sont les
premiers du monde. Mais, avec tout cela, je ne sais pas laquelle de toutes ces
provinces-là il faut mettre la première.
– Petit Julien, dit le père Guillaume en
souriant, il n'est pas facile de donner ainsi des places et des rangs aux
choses. Demande à un jardinier quelle est la plus belle des fleurs, il
sera bien embarrassé ; mais en revanche il te dira que le plus beau
des jardins, c'est celui où il y a les plus belles et les plus nombreuses
espèces de fleurs. Eh bien, petit, la France est ce jardin. Ses provinces
sont comme des fleurs de toute sorte entre lesquelles il est difficile de
choisir, mais dont la réunion forme le plus beau pays, le plus doux
à habiter, notre patrie bien-aimée. Et maintenant n'oublions pas
que c'est sur notre travail à tous, sur notre intelligence et notre
honnêteté que repose l'avenir de cette patrie. Travaillons pour
elle sans relâche, fièrement et courageusement : tant vaut
l'homme, tant vaut la terre.
– Père Guillaume, voulez-vous que je vous lise
ce que dit mon livre sur les grands hommes de la Normandie ?
– De tout mon coeur, enfant. Si je ne le sais pas,
cela me l'apprendra : il est bon de s'instruire à tout
âge ; et, si je le sais déjà, je serai content de
l'entendre encore, car il est agréable d'écouter l'histoire de
ceux qui se sont rendus utiles à leur patrie et à leurs
concitoyens.