Titre Précedent Suivant Sommaire Index | L. — Les forges du Creusot. — Les grands marteaux-pilons à vapeur. — Une surprise fait à Julien. Les mines du Creusot ; la ville souterraine. |
L. — Les forges du Creusot. — Les grands
marteaux-pilons à vapeur. — Une surprise fait à Julien. Les
mines du Creusot ; la ville souterraine.
Quelle sympathie nous devons
à tant d'ouvriers courageux qui se livrent aux plus durs et aux plus
pénibles travaux !
Quand on
eut bien admiré la fonderie, on passa dans les grandes forges.
Là, Julien et
André furent de nouveau bien étonnés.
La plupart des ouvriers qui
allaient et venaient avaient la figure garnie d'un masque en treillis
métallique ; de grandes bottes leur montaient jusqu'au genou ; leur
poitrine et leurs bras étaient garnis d'une sorte de cuirasse de
tôle ; ils étaient armés comme pour un combat ;
et, en effet, c'est une véritable lutte que ces robustes et courageux
ouvriers ont à soutenir contre le feu qui jaillit de toutes parts, contre
les éclaboussures et les étincelles du fer rouge.
Saisissant de longues tenailles,
ils retiraient des fours les masses de fer rouge ; puis, les plaçant
dans des chariots qu'ils poussaient devant eux, ils les amenaient en face
d'énormes enclumes pour être frappées par le marteau.
LE MARTEAU-PILON À
VAPEUR. — On emploie maintenant, pour la construction des ponts en fer ou
des grandes machines, des pièces de métal tellement grosses,
qu'aucun marteau mû par une main d'homme ne pourrait les façonner.
Pour les forger, on a inventé l'énorme marteau-pilon, que la
vapeur met en mouvement et qui peut frapper depuis deux cents jusqu'à
cinq cents coups par minute.
Mais ce
marteau ne ressemblait en rien aux marteaux ordinaires que manient les
serruriers ou les forgerons des villages ; c'était un lourd bloc de
fer qui, soulevé par la vapeur entre deux colonnes, montait jusqu'au
plafond, puis retombait droit de tous son poids sur l'enclume.
— Regarde bien, Julien,
dit M. Gertal : voici une des merveilles de l'industrie. C'est ce
qu'on appelle le marteau-pilon à vapeur, qui a été
fabriqué et employé pour la première fois dans l'usine du
Creusot où nous sommes. Ce marteau pèse de 3 000 à
5 000 kilogrammes : tu te figures la violence des coups qu'il peut
donner.
Au même moment, comme
poussée par une force invisible, l'énorme masse se souleva ;
l'ouvrier venait de placer sur l'enclume un bloc de fer rouge : il fit un
signe, et le marteau-pilon, s'abaissant tout à coup, aplatit le fer en en
faisant jaillir une nuée d'étincelles si éblouissantes que
Julien, tout éloigné qu'il était, fut obligé de
fermer les yeux.
— Vous voyez, dit
M. Gertal, quelle est la force de ce marteau ; eh bien, ce qu'il y a
de plus merveilleux encore, c'est la précision et la délicatesse
avec laquelle il peut frapper. Cette même masse que vous venez de voir
broyer un bloc de fer peut donner des coups aussi faibles qu'on le veut :
elle peut casser la coque d'une noix sans toucher à la noix
même.
— Est-ce possible,
monsieur Gertal ?
— Mais oui, dit un ouvrier
qui connaissait M. Gertal et qui regardait avec plaisir la gentille figure
de Julien. Tenez, petit, j'ai fini mon travail, et je vais vous faire voir
quelque chose de curieux.
L'ouvrier prit dans un coin sa
bouteille de vin, plaça dessus le bouchon sans l'enfoncer, mit la
bouteille sur l'enclume, et dit deux mots à celui qui faisait manoeuvrer
le marteau. La lourde masse se dressa, et Julien croyait que la bouteille allait
être brisée en mille morceaux ; mais le marteau s'abaissa
doucement, vint toucher le bouchon et l'enfonça délicatement au
ras du goulot.
Julien battit des mains.
Bien d'autres choses
émerveillèrent encore nos jeunes amis. Là, le fer rouge
passait entre des rouleaux et sortait aplati en lames semblables à de
longues bandes de feu ; ailleurs, des ciseaux d'acier, mis en mouvement par
la vapeur, tranchaient des barres de fer comme si c'eût été
du carton ; plus loin, des rabots d'acier, mus encore par la vapeur,
rabotaient le fer comme du bois et en arrachaient de vrais copeaux.
Julien ne se laissait pas de
regarder ces grands travaux accomplis si rapidement par la vapeur, et qui le
faisaient songer aux fées de la mère Gertrude. On parcourut les
ateliers de construction où se font chaque année, plus de cent
locomotives, des quantités considérables de rails, des coques de
bateaux à vapeur, des ponts de fer, des engins de toute sorte pour les
frégates et les vaisseaux de ligne.
— Voyons maintenant les
mines de houille, dit M. Gertal.
— Des mines ? dit
Julien. Il y a des mines aussi !
— Oui, mon enfant ;
tout le bruit, tout le mouvement que tu vois ici est l'image du bruit et du
mouvement qui se font également sous nos pieds dans la vaste mine de
houille. Sous la terre où nous marchons, sous cette ville de travail
où nous sommes, il y en a une autre non moins active, mais sombre comme
la nuit. On y descend par dix puits différents. Viens, nous allons voir
l'entrée d'un de ces puits.
Quand
André et Julien arrivèrent, c'était le moment où des
ouvriers, munis de leurs lampes, allaient descendre dans le souterrain. Julien
les vit s'installer dans la cage, au-dessus du grand trou noir, que le jeune
garçon regardait avec épouvante. Puis on donna le signal de la
descente, une machine à vapeur siffla, et la cage s'enfonça dans
le trou avec les mineurs qu'elle portait.
— Est-ce que ce puits est
bien profond ? demanda Julien. Tout le long du puits on rencontre des
galeries sur lesquelles il donne accès. Cette ville souterraine renferme
des rues, des places, des rails où roulent des chariots de charbon que
les mineurs ont arraché à coups de pic et de pioche. C'est ce
charbon qui alimentera les grands fourneaux que tu as vus, c'est lui qui mettra
en mouvement ces machines qui sifflent, tournent et travaillent sans repos.
Puis, quand à l'aide ce charbon on aura fabriqué toutes les choses
que tu as vues, on les expédiera par le canal du Centre sur tous les
points de la France.
— Oh, monsieur Gertal,
s'écria le petit Julien, je vois que la Bourgogne travaille fameusement,
elle aussi ! et je réfléchis en moi-même que, si la
France est une grande nation, c'est que dans toutes ses provinces on se donne
bien du mal ; c'est à qui fera le plus de besogne.
— Oui, petit Julien,
l'honneur de la France, c'est le travail et l'économie. C'est parce que
le peuple français est économe et laborieux qu'il résiste
aux plus dures épreuves, et qu'en ce moment même il répare
rapidement ses désastres. Ne l'oublions jamais, mes enfants, et
faisons-nous gloire, nous aussi, d'être toujours laborieux et
économes.