LXX. — La visite du médecin. — Les
soins d'André.
L'affection et l'intelligence
de celui qui soigne un malade ne contribuent pas moins à la
guérison que la science du médecin.
En
arrivant au bourg voisin de l'accident, les deux enfants furent installés
chez une excellente femme du lieu.
Le petit Julien souffrait de
plus en plus. Il portait sans cesse sa main à son front : la
tête, disait-il, lui faisait bien plus mal que tout le reste.
On le coucha pour le reposer,
mais il ne put dormir. La fièvre l'avait pris, une de ces fièvres
brûlantes qui sont le principal danger des chutes.
André alarmé
courut chercher le médecin. Par malheur ce dernier était absent et
ne devait rentrer que dans la soirée. André l'attendit avec
anxiété, assis auprès du lit de son frère, dont il
aurait tant voulu apaiser la souffrance. Les yeux fixés avec tendresse
sur le visage accablé de Julien, il se sentait pris d'une tristesse
indicible ; il eût voulu souffrir mille fois à la place de
l'enfant.
Le petit garçon avait
fini par ne plus se plaindre : il semblait plongé dans un rêve
plein d'angoisse ; il avait le délire et murmurait tout bas des mots
sans suite, s'agitant péniblement dans son lit.
— Que demandes-tu, mon
Julien ? dit André en se penchant vers l'enfant.
Julien le regarda tristement
comme s'il ne reconnaissait plus son frère, et d'une voix lente,
accablée :
— Je voudrais retourner
à ma maison, dit-il.
— Pauvre petit, pensa
André, le chagrin qu'il avait hier ne l'a pas quitté. Ce long
voyage semble maintenant au-dessus de ses forces. Comment donc faire pour lui
redonner du courage ?
— Mon Julien,
répondit André doucement, nous aurons bientôt une maison
à nous, chez notre oncle à Marseille.
— A Marseille !...
fit l'enfant avec l'air effrayé que donne le délire. C'est trop
loin, Marseille... Puis il laissa tomber sa petite tête avec accablement
en répétant plus fort : — C'est trop loin, c'est trop
loin.
— Qu'est-ce qui est trop
loin, mon ami ? dit la voix tranquille du médecin qui venait
d'entrer.
Julien releva la tête,
mais il ne semblait plus voir personne. Puis, d'un air triste, lentement et
traînant sur les mots : — Tout le monde a sa maison,
reprit-il : moi aussi, j'avais une maison, et je n'en ai plus. Oh !
que je voudrais bien y retourner !
— Où souffres-tu,
mon enfant ? dit le médecin en prenant la main de Julien dans la
sienne.
Julien ne répondit pas,
mais il se mit à pleurer et à se plaindre par mots
entrecoupés.
André alors expliqua leur
accident de voiture, puis l'entorse au pied et au poignet.
— L'entorse ne sera pas
grave, dit le médecin après examen ; mais cet enfant a une
forte fièvre et un délire qui m'inquiète. Qu'est-ce que
cette maison qu'il demande ?
André expliqua la mort de
leur père, leur départ d'Alsace-Lorraine, leur long voyage ;
comment Julien avait été courageux tout le temps et même
gai ; mais qu'à chaque nouvelle séparation, et surtout la
dernière, il avait eu grand'peine à se consoler.
"Pauvres orphelins, pauvres
enfants de l'Alsace-Lorraine !" pensait le médecin en
écoutant André ; "si jeunes, et obligés à
déployer une énergie plus grande que celle de bien des
hommes !"
André se tut, attendant
l'avis du médecin : il était tout pâle
d'anxiété sur l'état de son frère, et deux grosses
larmes brillaient dans ses yeux.
— Allons, dit le docteur,
j'espère que cette fièvre et ce délire n'auront pas de
suite : vous avez fait ce qu'il faut toujours faire dans les maladies, vous
avez appelé le médecin à temps. Ne vous couchez pas, mon
ami, de demi-heure en demi-heure vous ferez prendre à votre frère
une potion calmante que je vais vous écrire ; veillez-le avec soin.
S'il peut s'endormir d'un bon sommeil, il sera hors de danger. Je reviendrai
demain matin.
André resta toute la nuit
au chevet de Julien, veillant l'enfant comme l'eût fait la plus tendre des
mères, le calmant par des mots pleins de tendresse.
Julien était toujours
dans une agitation extrême. La nuit touchait à sa fin, et
l'inquiétude d'André allait croissant.
Enfin Julien
épuisé de fatigue commença à devenir plus
tranquille ; puis, peu à peu, il garda le silence, ses yeux se
fermèrent ; il s'endormit, sa petite main dans celle de son
frère.
André, immobile, n'osait
remuer dans la crainte d'éveiller l'enfant. En voyant quel calme sommeil
succédait au délire, il sentit l'espérance remplir son
coeur ; le médecin n'avait-il pas dit que, si le petit garçon
s'endormait, il serait guéri.
Enfin, brisé
d'émotion et de fatigue, il finit par sommeiller lui-même à
son tour, la tête appuyée sur le bois du lit où Julien
reposait, la main immobile dans celle de l'enfant.