LXXXIV. – André et
Julien retrouvent à Bordeaux leur oncle Frantz.
On retrouve une force nouvelle en revoyant les
siens.
Le
Perpignan, au-dessus de Toulouse,
quitta le canal du Midi et entra dans la Garonne
, ce beau
fleuve qui descend des Pyrénées pour aller se jeter dans
l'Océan au delà de Bordeaux. Le courant rapide du fleuve
entraînait le bateau, ce qui fit qu'il n'y eut plus besoin de manier la
perche à grand effort ou de se faire traîner à l'aide d'un
câble par les chevaux, d'écluse en écluse. Les mariniers et
André eurent donc plus de loisir pour regarder le riche pays de Guyenne
et Gascogne, où ils ne tardèrent pas à entrer.
La jambe de Julien était presque guérie. A
mesure qu'elle allait mieux, la gaîté de l'enfant lui revenait, et
aussi le besoin de sauter et de courir. A la pensée qu'on arriverait
bientôt à Bordeaux, il ne se tenait pas de plaisir. – Pourvu
que notre oncle Frantz soit guéri aussi ! pensait-il.
GUYENNE, GASCOGNE ET BÉARN. – La Guyenne et
Gascogne est la plus grande province de France, et, si on excepte le
département des Landes ; c'est une des plus riches. Bordeaux,
Lesparre, Libourne font un grand commerce de vins ; Mont-de-Marsan est une
charmante petite ville au milieu des pins. Périgueux (32 000 hab.)
et Bergerac font le commerce des truffes, des vins et des bestiaux. Agen
(22 500 hab.), ville commerçante, est renommée pour ses
pruneaux ; Auch fait commerce de vins ; à Tarbes (26 000
hab.) se trouve un grand arsenal, Cahors a des vins estimés, Montauban
(30 500 hab.) tisse la soie. Rodez, la laine. – Le Béarn
possède la belle ville de Pau (34 200 hab.), où les malades
viennent passer l'hiver, et le port de Bayonne, ville forte qui n'a jamais
été prise.
Enfin,
au bout de quelques jours, la Garonne alla s'élargissant de plus en plus
entre ses coteaux couverts des premiers vignobles du monde. En même temps
on apercevait un plus grand nombre de bateaux. Bientôt même, au
loin, on vit sur le fleuve toute une forêt de mats.
– André, disait Julien en frappant
dans ses mains, vois donc ; nous arrivons, quel bonheur !
On apercevait, en effet, Bordeaux avec ses belles maisons et
son magnifique pont de 487 mètres jeté sur le fleuve.
LE PONT DE BORDEAUX. – Bordeaux est une très
belle ville, magnifiquement bâtie, de 237 000 hab. Elle se
déploie sur la rive gauche de la Garonne, dans une longueur de plus de
quatre kilomètres. A ses pieds le large fleuve forme un port où
1 000 navires d'un fort tonnage peuvent trouver un abri. Parmi les
principaux monuments on compte le pont de pierre construit au commencement de ce
siècle et long d'un demi-kilomètre.
Chacun, sur le
Perpignan, était plus attentif
que jamais à la manoeuvre, afin qu'il n'arrivat pas d'accident.
Bientôt le
Perpignan acheva son
entrée et prit sa place au bord du quai animé, où des
marins et des hommes de peine allaient et venaient chargés de
marchandises.
Une planche fut jetée pour aller du bateau au quai,
et l'on mit pied à terre.
Le patron, qui avait l'oeil vif, avait remarqué un
homme assis à l'écart sur un tas de planches et qui, pâle et
fatigué comme un convalescent, semblait considérer avec attention
le mouvement d'arrivée du bateau. Le patron frappa sur l'épaule
d'André : – Regarde, dit-il, je parie que voilà ton
oncle, auquel tu as écrit l'autre jour.
André regarda et le coeur lui battit
d'émotion, car cet inconnu ressemblait tellement à son cher
père, qu'il n'y avait pas moyen de se tromper. – Julien, dit-il,
viens vite.
Et les enfants, se tenant par la main, coururent vers
l'étranger.
Julien, de loin, tendait ses petits bras ;
frappé, lui aussi, par la ressemblance de son oncle avec son père,
il souriait et soupirait tout ensemble, disant : – C'est lui, bien
sûr, c'est notre oncle Frantz, le frère de notre père.
En voyant ces deux enfants descendus du
Perpignan et qui couraient vers lui,
l'oncle Frantz, à son tour, pensa vite à ses jeunes neveux. Il
leur ouvrit les bras. – Mes pauvres enfants, leur dit-il en les embrassant
l'un et l'autre, comment m'avez-vous deviné au milieu de cette
foule ?
– Oh ! dit Julien avec sa petite voix qui
tremblait d'émotion, vous lui ressemblez tant ! J'ai cru que
c'était lui !
L'oncle de nouveau embrassa ses neveux, et tout bas :
– Je ne lui ressemblerai pas seulement par le visage, dit-il ;
enfants, j'aurai son coeur pour vous aimer.
– Et nous aussi, mon oncle, s'écrièrent
les deux enfants, nous vous chérirons comme un père.