LXXXII. – André et Julien
aperçoivent les Pyrénées. – Le cirque de Gavarnie et
le Gave de Pau.
Les montagnes, avec leurs neiges et leurs glaciers, sont
comme de grands réservoirs d'où s'écoule peu à peu
l'eau qui arrose et fertilise nos plaines.
Tout le long du chemin, le
Perpignan s'arrêtait dans les
villes importantes. A Béziers
, ville de 52300
âmes, les mariniers embarquèrent dans le bateau des eaux-de-vie
qu'on y fabrique. Plus loin on chargea des miels récoltés à
Narbonne et renommés pour leur goût aromatique, A Carcassonne, on
débarqua de la laine pour les draps, car dans l'antique cité de
Carcassonne, perchée sur une colline et entourée d'une ceinture de
vieilles tours, il y a de nombreux tisserands qui fabriquent des lainages.
Au moment où on venait de
quitter Carcassonne, le ciel, qui avait été nuageux jusqu'alors,
s'éclaircit un matin, et Julien en s'éveillant aperçut vers
le sud une grande chaîne de montagnes couvertes de neiges. Des pics blancs
et de longs glaciers étincelaient au soleil.
– Oh ! dit Julien, on croirait voir encore les
Alpes.
– C'est la chaîne des Pyrénées,
dit le patron. Tiens, Julien, vois-tu là-bas ce pic pointu et tout blanc
qui dépasse les autres de toute sa hauteur ? C'est le Canigou, la
plus haute montagne du Roussillon ; c'est de ce côté-là
que je suis né, moi. Par là-bas, à droite, ce sont les
montagnes de l'Ariège et du comté de Foix, riches en mines de
fer ; puis viennent les Hautes-Pyrénées, où
jaillissent un grand nombre de sources d'eaux chaudes que les malades
fréquentent en été. C'est dans le département des
Hautes-Pyrénées que se trouvent aussi les plus beaux sites de ces
montagnes, entre autres le cirque de Gavarnie avec sa magnifique cascade et son
pont de neige qui ne fond jamais.
LA RÉCOLTE DU MIEL A NARBONNE. – Les miels
les plus connus sont ceux de Narbonne, du Gatinais, de la Saintonge et de la
Bourgogne. Les hommes qui récoltent le miel se revêtent de gants et
d'une sorte de masque en fil de fer, afin d'éviter les piqûres des
abeilles, qui défendraient leur miel avec un acharnement furieux.
–
Est-ce que vous avez vu cela, patron ? dit Julien.
– Oui, mon ami, et même que je me suis
promené sous le pont de glace. Les arcades de neige gelée en sont
si hautes et si larges qu'on peut passer dessous facilement ; on a alors
sur sa tête une belle voûte de neige brillante, ornée de
découpures comme celles que les sculpteurs font aux voûtes des
palais ; en même temps on marche de rocher en rocher dans le lit
même du torrent, qui passe près de vous en grondant et en roulant
les cailloux avec fracas.
LA CITÉ DE CARCASSONNE – La vieille
cité de Carcassonne est encore à peu près telle qu'elle
était au moyen-âge. Elle se dresse au sommet d'une colline avec ses
hautes nurailles, ses tours aux formes les plus variées et ses portes
fortifiées. – La nouvelle ville, très
régulièrement bâtie, s'étend au pied de la colline,
au bord de l'Aude.
–
Cela doit être bien beau à voir, dit Julien ; mais, que
devient-il ensuite, ce torrent-là, savez-vous, patron ?
LA CASCADE DE GAVARNIE DANS LES PYRÉNÉES.
– Le village de Gavarnie, dans les Hautes-Pyrénées,
possède un des plus beaux sites du monde. C'est un cirque immense
fermé par des montagnes, couvertes de neiges, qui se dressent tout d'un
coup à pic devant le voyageur. Du haut d'une de ces murailles
gigantesques se précipite une cascade haute de 420 mètres. Tout
auprès se trouve le pont de neige.
–
Ce torrent-là ? Eh bien, mais il continue à courir à
travers les montagnes, en se creusant le lit le plus sauvage qui ne puisse
imaginer. Quand il arrive, après vingt kilomètres de course, au
village de Saint-Sauveur, on le traverse sur un pont superbe de pierre et de
marbre., C'est un des plus beaux ponts que j'aie vus. Le torrent coule dessous
dans un abîme, à près de 70 mètres de
profondeur ; puis il continue sa course désordonnée
jusqu'à ce qu'il arrive à la capitale du Béarn, à la
ville de Pau, patrie de Henri IV ; notre torrent s'appelle avec le Gave de
Pau ; plus loin encore il se joint à l'Adour, et, devenu fleuve avec
lui à Bayonne, il reçoit les navires et les emmène
jusqu'à l'Océan.
– Voilà une histoire de torrent qui m'a bien
amusé, dit Julien. Oh ! j'aimerais suivre ainsi le cours d'un
torrent depuis la montagne d'où il sort jusqu'à la mer où
il se jette.
– Et certes, ajouta le patron, tu n'en pourrais suivre
de plus pittoresque que ce sauvage Gave de Pau.
Quand on approcha de Toulouse, le temps, tout en
s'éclaircissant, s'était fort refroidi, et le vent soufflait avec
force, comme d'ordinaire dans la plaine du Languedoc. Le petit Julien, quoiqu'il
commençat à se servir de sa jambe, ne pouvait encore marcher
beaucoup, si bien qu'à rester immobile les journées au long, il y
avait des moments où il se sentait glacé. Heureusement le patron
l'avait pris en affection, et, quand il voyait à l'enfant un air triste,
il l'enveloppait dans sa peau de mouton jusqu'au cou et lui faisait prendre un
peu de café chaud pour le réchauffer. Grâce à ces
petits soins, si le voyage ne se faisait pas sans souffrir, il se faisait du
moins sans maladie.
PONT DE SAINT-SAUVEUR DANS LES PYRÉNÉES
– Ce pont n'a qu'une seule grande arche. Il est jeté d'un
côté de la montagne à l'autre, au-dessus d'un abîme
d'une telle profondeur qu'on entend à peine une pierre tomber quand on
l'y jette.