LXXIX. – Les reproches du nouveau patron.
– Le canal du Midi et les ponts tournants. – Le départ de
Cette pour Bordeaux.
Quand on vous parle avec mauvaise humeur, la meilleure
réponse est de garder le silence et de montrer votre bonne
volonté.
Le patron Jérôme,
dès le lendemain, usa de son influence auprès d'un marinier qu'il
connaissait pour l'engager à emmener avec lui les deux enfants.
Après bien des pourparlers, il obtint qu'André toucherait vingt
francs de salaire en arrivant à Bordeaux.
– C'est peu, dit-il à André, mais le
Perpignan est un bateau bien
installé. Vous y serez mieux couché et mieux nourri que sur bien
d'autres. Le patron, un marin du Roussillon, est un parfait honnête homme.
Rappelez-vous seulement qu'il est vif comme la poudre et soyez patient.
André et Julien, après avoir remercié
Jérôme, reprirent encore une fois leur petit paquet de voyage. Mais
Julien voulut absolument essayer ses forces : en s'appuyant beaucoup sur le
bras d'André et à peine sur son pied malade, il arriva à
faire quelques pas, ce qui le transporta de joie.
– Oh ! s'écria-t-il en battant des mains
de plaisir, je marcherai avant un mois, tu verras, André.
André était lui-même tout heureux, mais
il ne voulut pas que l'enfant se fatiguât. De plus, il avait hâte
d'arriver pour ne pas faire attendre le nouveau patron. Il prit donc Julien sur
son bras et suivit le plus vite qu'il put une partie des quais de Cette,
jusqu'à ce qu'il aperçût le
Perpignan. Mais il eut beau se
hâter, il arriva en retard.
Le patron était à bord, fort impatient, car il
n'attendait qu'André pour donner le signal du départ ; ce qui
lui fit accueillir les enfants avec la plus grande brusquerie : il se
rependait déjà, disait-il, de s'être chargé d'eux, et
il leur répéta devant tous les marins.
André s'excusa aussi poliment qu'il put, et Julien,
tout interdit, se blottit en silence sur un coin du pont, entre deux sacs de
garance d'Avignon, où le patron d'un geste avait fait signe de le
déposer.
PONT TOURNANT SUR UN CANAL A CETTE. – Les canaux ne
sont pas toujours assez profondément creusés pour que les bateaux
puissent passer sous les arches des ponts. – Afin que les bateaux ne
soient pas arrêtés au passage, on a inventé les ponts
mobiles, qui s'ouvrent par la moitié ou tournent tout entiers sur
eux-mêmes. – Cette, qui par son canal du Midi communique avec
l'Océan, est, après Marseille, notre port de commerce le plus
important de la Méditerranée. Elle fait un grand commerce de vins
et eaux-de-vie et compte 33 200 habitants.
Le bateau se
mit en marche. Julien n'était pas gai, mais il fut heureusement
tiré de ses réflexions en voyant une chose qu'il n'avait jamais
vue. Au moment où le bateau arriva devant un pont qui traversait le
canal, on s'arrêta : le pont était, en effet, trop bas pour
que le bateau pût passer dessous. Mais tout d'un coup, à un signal
donné, le pont, qui était en fer, se mit lui-même en
mouvement, comme le battant d'une porte, et laissa passage au bateau. Le
Perpignan continua fièrement sa
route.
Julien fut émerveillé. Il aurait bien voulu
questionner quelqu'un, mais il n'osait pas : chacun était à
son poste, fort occupé. André, appuyé sur une longue perche
à crochets de fer qu'il plongeait dans l'eau et retirait tour à
tour, poussait comme les autres le bateau, qui s'avançait ainsi
lentement.
Julien prit alors le parti de réfléchir tout
seul à ce qu'il voyait, puis de lire dans son livre.
Il ouvrit le chapitre sur les grands hommes du
Languedoc.
– Tiens, dit-il, voici justement qu'il s'agit du canal
du Midi où nous sommes à cette heure,
Et il commença l'histoire de Riquet.