LXXII. – Une des gloires de la chevalerie
française, Bayard.
Enfant, faites que votre père et votre
mère, avant leur mort, aient à se réjouir de vous avoir
pour fils (LA MÈRE DE BAYARD)
A quelques lieues de Grenoble, au
milieu des superbes montagnes du Dauphiné, on trouve les ruines d'un
vieux château à moitié détruit par le temps :
c'est là que naquit, au quinzième siècle, le jeune Bayard,
qui par son courage et sa loyauté mérita d'être
appelé « le chevalier sans peur et sans reproche ».
BAYARD, né au château de Bayard
(Isère) en 1476. C'est lui qui arma le roi François Ier chevalier
après la victoire de Marignan (1515). Il défendit victorieusement
Mézières contre toute une armée de Charles-Quint (1521). Il
mourut en Italie en 1524.
Son
père avait été lui-même un brave homme de guerre. Peu
de temps avant sa mort, il appela ses enfants, au nombre desquels était
Bayard, alors âgé de treize ans. Il demanda à chacun d'eux
ce qu'il voulait devenir.
– Moi, dit l'aîné, je ne veux jamais
quitter nos montagnes et notre maison, et je veux servir mon père
jusqu'à la fin de ses jours.
– Eh bien, Georges, dit le vieillard, puisque tu
aimes la maison, tu resteras ici à combattre les ours dans la
montagne.
Pendant ce temps-là, le jeune Bayard se tenant
sans rien dire à côté de son père, le regardant avec
un visage riant et éveillé.
– Et toi, Pierre, de quel état veux-tu
être ? lui demanda son père.
– Monseigneur mon père, je vous ai entendu
tant de fois raconter les belles actions accomplies par vous et par les nobles
hommes du temps passé, que je voudrais vous ressembler et suivre la
carrière des armes. J'espère ne vous point faire
déshonneur.
– Mon enfant, répondit le bon vieillard en
pleurant, j'aviserai au moyen de satisfaire ton désir. Puisses-tu, comme
tu le dis, faire honneur à tous les tiens.
Quelques jours après, le jeune homme était
dans la cour du château, vêtu de beaux habits neufs en velours et en
satin, sur un cheval carapaçonné : il était prêt
à partir chez le duc de Savoie, où il devait faire l'apprentissage
du métier de chevalerie. Vous savez, enfants, que les chevaliers
étaient de nobles guerriers qui juraient solennellement de consacrer leur
vie et leur épée à la défense des veuves, des
orphelins, des faibles et des opprimés.
La mère de Bayard, du haut d'une des tourelles du
château, contemplait son fils les larmes aux yeux, toute triste de le voir
partir, toute fière de la bonne grâce avec laquelle le jeune homme
se tenait en selle et faisait caracoler son cheval. Elle descendit par
derrière la tour, et, le faisant venir auprès d'elle, elle lui
adressa gravement ces paroles :
– Pierre, mon ami, je vous fais de toutes mes
forces le commandement que vous soyez doux et courtois, ennemi du mensonge,
sobre, toujours loyal ; que vous soyez charitable : donner aux
malheureux n'appauvrit jamais personne.
LA MORT DE BAYARD. – « N'ayez point
pitié de moi, connétable, mais plutôt de vous-même qui
portez les armes contre votre patrie. Moi, c'est pour ma patrie que je
meurs ! »
Le jeune Bayard tint parole
à sa mère. A vingt et un ans, il fut armé chevalier.
Les grandes actions de Bayard sont bien connues ;
il serait trop long de les raconter toutes ici. Un jour, il sauva l'armée
française au pont du Garigliano, en Italie ; les ennemis allaient
s'emparer de ce pont pour se jeter par là à l'improviste sur nos
soldats. Bayard, qui les vit, dit à son compagnon : – Allez
vite chercher du secours, ou notre armée est perdue. Quant aux ennemis,
je tâcherai de les amuser jusqu'à votre retour.
En disant ces mots, le bon chevalier, la lance au poing,
alla se poster au bout du pont. Déjà les ennemis allaient passer,
mais, comme un lion furieux, Bayard s'élance, frappe à droite et
à gauche et en précipite une partie dans la rivière.
Ensuite, il s'adosse à la barrière du pont, de peur d'être
attaqué par derrière, et se défend si bien que les ennemis,
dit l'histoire du temps, se demandaient si c'était bien un homme. Il
combattit ainsi jusqu'à l'arrivée du secours. Les ennemis furent
chassés et notre armée fut sauvée.
Après une vie remplie de hauts faits, Bayard
reçut dans une bataille un coup d'arquebuse au moment où il
protégeait la retraite de notre armée. Il faillit tomber de son
cheval, mais il eut l'énergie de se retenir, et appelant son
écuyer : – « Aidez-moi, dit-il, à descendre, et
appuyez-moi contre cet arbre, le visage tourné vers les ennemis :
jamais je ne leur ai montré le dos, je ne veux pas commencer en mourant.
»
Tous ses compagnons d'armes l'entouraient en pleurant,
mais lui, leur montrant les Espagnols qui arrivaient, leur dit de l'abandonner
et de continuer leur retraite.
Bientôt, en effet, les ennemis
arrivèrent ; mais tous avaient un tel respect pour Bayard, qu'ils
descendaient de cheval pour le saluer.
A ce moment un prince français, Charles de
Bourbon, qui avait trahi son pays et servait contre la France dans
l'armée espagnole, s'approcha comme les autres de Bayard : –
Eh ! capitaine Bayard, dit-il, vous que j'ai toujours aimé pour
votre grande bravoure et votre loyauté, que j'ai grand'pitié de
vous voir en cet état !
– Ah ! Monseigneur, répondit Bayard,
n'ayez point pitié de moi, mais plutôt de vous-même, qui
êtes passé dans les rangs des ennemis et qui combattez à
présent votre patrie, au lieu de la servir. Moi, c'est pour ma patrie que
je meurs.
Le duc de Bourbon, confus, s'éloigna sans
répliquer.
Peu de temps après, Bayard expira.
Les ennemis, emportant son corps, lui firent de
solennelles obsèques qui durèrent deux jours, puis le
renvoyèrent en France.
– André, dit le petit Julien avec
émotion, voilà un grand homme que j'aime beaucoup.
Et il ajouta tout bas en s'approchant de son
aîné, d'un petit air contrit : – Sais-tu,
André ? je n'ai pas été bien courageux quand nous
avons quitté M. Gertal. J'étais si las et si triste que
volontiers, au lieu d'aller plus loin, j'aurais voulu retourner à
Phalsbourg ; il me semblait que je ne me souciais plus de rien que de vivre
tranquille comme autrefois, mais j'ai eu bien honte de moi tout à l'heure
en lisant la vie de Bayard. Ô André, j'ai dû te faire de la
peine ; mais je vais tâcher à présent d'être plus
raisonnable, tu vas voir.
André embrassa l'enfant :
– A la bonne heure, mon Julien, lui dit-il, nous ne
sommes que de pauvres enfants, c'est vrai, mais néanmoins nous pouvons
prendre ensemble la résolution d'être toujours courageux nous aussi
et d'aimer, comme le grand Bayard, notre chère France par-dessus toutes
choses.