CXXVI. – Les Colonies de la France. –
Notre population. – L'alcoolisme. – La sobriété et la
santé à la Grand'Lande.
Les pays où la lutte anti-alcoolique est
menée avec le plus de vigueur sont des pays de volonté
énergique, tels que la Suède, la Norvège, le Danemark et
l'Angleterre. Apprenons, nous aussi, à avoir une volonté
inébranlable pour combattre nos défauts.
– Voilà de belles
inventions, dit Julien et de grands progrès accomplis en France depuis
que nous avons quitté Phalsbourg. Que de choses depuis trente ans !
Sans compter l'augmentation de nos colonies.
– Oui, dit Victor, la troisième
République nous a constitué un nouvel empire colonial, le plus
grand des empires après ceux de l'Angleterre et de la Russie. Grâce
à l'acquisition de la Tunisie, de l'Indo-Chine, de Madagascar et du
Dahomey, la France possède ou protège quatre millions de
kilomètres carrés, peuplés par trente-huit millions
d'hommes. La superficie de la France, y compris la Corse, n'est que de
536 400 kilomètres carrés ; nos colonies
représentent donc une superficie à peu près sept fois et
demie plus grande, mais sept fois moins peuplée.
–
Malheureusement, dit Frantz, la France elle-même n'est pas assez
peuplée ; sa population, m'a-t-on dit, augmente beaucoup plus
lentement que celle des autres peuples.
– Oui, répondit Victor, cela est vrai. Chaque
année, l'Allemagne s'accroît par ses naissances d'un demi-million
d'habitants de plus que la France.
– Quel malheur ! dit le petit Jean. Monsieur
Gertal, il faut que les savants trouvent bien vite le remède à la
tuberculose dont Pasteur parlait, afin de nous conserver chaque année les
150 000 Français qui meurent de cette maladie. Ce serait toujours
cela de plus.
Tout le monde sourit de la réflexion du petit
garçon, et M. Gertal lui dit :
– Il y a encore un autre mal dont souffre notre France
et que nous devons combattre tous, c'est l'alcoolisme, tu sais ce que
c'est ?
– Oui, monsieur, dit l'enfant, M. l'Instituteur
nous en a parlé en classe. Quand, le dimanche, je vois un homme ivre
trébucher par les chemins, cela me cause une grande répugnance et
je me promets bien, lorsque je serai grand, de ne pas prendre le goût de
la boisson. D'ailleurs, je n'ai jamais bu que de l'eau.
– J'ai remarqué, en effet, dit M. Gertal,
que hormis vous, monsieur Frantz, et aussi hormis vous, monsieur et madame
Guillaume, tout le monde buvait de l'eau à table.
– C'est vrai, monsieur Gertal. André et Julien,
lorsqu'ils m'ont retrouvé à Bordeaux, s'étaient
accoutumés à boire de l'eau. Jean-Joseph aussi. Les trois petites
filles de M. Guillaume également. Comme tout ce jeune monde se
portait très bien et que nous étions fort gênés dans
nos affaires au commencement, nous leur avons laissé cet usage. Ils l'ont
conservé en grandissant et, s'en étant bien trouvés, ils
l'ont fait prendre à leurs enfants.
– Nous, dit Guillaume, par une vieille habitude, nous
buvons une sorte de piquette bien légère, qui ne monte pas
à la tête, vous avez pu le voir. Enfin, Frantz te moi, nous nous
sommes à peu près déshabitués de fumer. Pour des
matelots, c'est joli, hein ? Mais nos enfants font mieux nous : ils
n'ont jamais fumé.
– Tout cela, dit André, c'est affaire de
volonté. Au régiment, les camarades, tout d'abord, me
dirent : « Quoi ! tu ne fumes pas ? Tu bois de
l'eau ? Monsieur est un demoiselle ? » Au lieu de ma
fâcher, je me mis à rire de bon coeur et leur
répondis : « De quoi vous plaignez-vous, camarades,
puisque je laisse ma part de vin à qui la veut ? Quant à voir
mon argent s'en aller dans la fumée d'une pipe, est-ce que cela vous
rendrait plus riches ou plus heureux ? Non, n'est-ce pas ? Eh bien, ni
moi non plus. En revanche, quand il s'agira d'allonger les jambes avec le sac
sur le dos pour faire une longue étape, je vous promets de ne pas rester
en arrière et de vous chanter gaiement des airs de mon pays, pour nous
faire oublier à tous la longueur de la route. » J'ai tenu
parole et les camarades m'aimaient bien. Julien et Jean-Joseph ont fait de
même lorsque leur tour est venu de servir le pays. Aussi, tous les trois,
nous sommes revenus du régiment sans avoir pris de mauvaises
habitudes ; au contraire, nous avons aidé plusieurs camarades
à perdre les leurs.
Le bon M. Gertal n'y tint pas. Il attira ses trois amis
dans ses bras en leur disant : – Braves coeurs, toujours les
mêmes ! Courageux et inflexibles dans la bonne vie !