CXXVII. – Le nouvel an à la
Grand'Lande.
Ne crains pas les efforts qu'il te faudra faire pour
rendre les autres heureux. Je te l'assure, mon enfant, celui qui cherche
à faire le bonheur d'autrui a déjà fait le sien.
Tout en causant, les instants avaient
passé si vite qu'on avait oublié l'heure. Sachant aussi qu'on
avait peu de temps à rester ensemble, on ne pouvait se décider
à se séparer. Enfin l'horloge de la ferme sonna minuit. Petit
Jean, bien qu'il commençât à avoir un peu sommeil, comptait
attentivement les coups. En entendant sonner le douzième, il se
précipita dans les bras des hôtes de la ferme, puis dans ceux de
ses parents, souhaitant gentiment à tous bonne année pour
1905.
Bientôt ce fut une effusion générale.
Tous ces braves coeurs, heureux d'être réunis, battaient à
l'unisson d'une même émotion de tendresse.
Victor Gertal avait rouvert sa valise. Elle renfermait
toutes sortes de choses. On eût dit un étalage de ces coquettes
marchandises que Pierrot, jadis, traînait si allègrement sur les
routes. C'étaient les étrennes pour les chers amis de la
Grand'Lande. A côté des photographies variées il y avait des
dentelles pour les jeunes filles, des poupées pour les fillettes, des
livres d'histoires pour les écoliers, des sacs de fruits confits pour les
desserts des ménagères et des trompettes pour les petits
garçons. Bref, personne n'avait été oublié ; on
comprenait que le brave Jurassien avait fait fortune et pouvait se montrer
généreux.
Quand la joie se fut un peu calmée et le silence
rétabli, Julien fit un signe à son fils, et le petit Jean,
intimidé, mais cependant résolu à faire son devoir, car il
avait un grand fond de bravoure, s'approcha du pilote Guillaume, de Mme
Guillaume et de l'oncle Frantz, pour leur réciter le compliment de bonne
année qu'on lui apprenait depuis un mois à l'école. Alors,
d'une voix claire, assez haute pour que tout le monde l'entendit, sans se
presser, pour donner l'intonation juste à ce qu'il allait dire, il
commença :
« Grand-oncle, grand-père, et vous aussi
grand'mère,
Parmi ceux de vos petits-fils qui vont à
l'école, je suis le plus jeune ; mais c'est mon tour, cette
année, de parler pour vos quatorze petits-enfants. Tous, cher
grand-père et cher grand-oncle, tous, bonne grand'mère, nous
voulons, pendant cette année qui commence, ne vous donner que de la joie.
Nous savons, – car vous nous l'avez répété souvent,
– ce qu'il faut faire pour cela : nous le ferons donc. Nous
remplirons courageusement nos devoirs d'enfants et nos devoirs
d'écoliers, afin d'apprendre ainsi à remplir plus tard nos devoirs
d'hommes. Nous serons tous, à la maison, pleins de tendresse les uns pour
les autres, frères, soeurs, et enfants d'une même famille :
à l'école, nous serons dociles et reconnaissants à nos
maîtres, obligeants et affectueux pour nos camarades. Nous aimerons votre
village, qui est un petit coin de la France, et nous lui ferons honneur en nous
instruisant et en devenant bons. »
Jean s'arrêta tout ému. Il avait bien
récité, parce qu'il avait bien compris ce qu'il disait. On
sentait, en l'écoutant, que sa petite volonté de jeune
garçon s'était engagée, du fond du coeur, à tenir ce
qu'il promettait. On lisait aussi, dans les regards des autres enfants qui
suivaient ses paroles, qu'ils avaient pris le même engagement, qu'ils
voulaient tous faire, de cette année qui commençait, une bonne
année, dans laquelle, quoique bien jeunes, ils auraient
déjà travaillé pour leur pays ; car, on le leur avait
appris, ce qui fait la gloire de la patrie, son honneur, sa richesse et sa
force, c'est la valeur morale de ses enfants.
Ce fut ainsi qu'à la ferme de la Grand'Lande s'acheva
l'année 1904 et commença l'année 1905.