CXII. – Les Halles et l'approvisionnement de
Paris. – Le travail de Paris.
Villes et champs ont besoin les uns des autres. L'ouvrier
des villes nous donne nos vêtements et une foule d'objets
nécessaires à notre entretien ; le travailleur des champs
nous donne notre nourriture.
On se trouvait tout près des
Halles centrales, l'oncle Frantz y conduisit les enfants. Il était neuf
heures du matin, c'est-à-dire le moment de la plus grande animation.
Julien n'en pouvait croire ses yeux ni ses oreilles. – Oh ! oh !
s'écria-t-il, c'est bien sûr une des grandes foires de
l'année ! Que de monde ! et que de choses il y a à
vendre.
LES HALLES CENTRALES A PARIS. – Les Halles centrales
de Paris forment un vrai monument dont le faîte s'élève
à 25 mètres au-dessus du sol. Il est construit presque tout en
fonte ou en zinc. De nombreux vitraux en cristal dépoli et des persiennes
laissent partout entrer la lumière sans le soleil. Les Halles centrales
sont un établissement unique en son genre dans le monde.
L'oncle se mit à rire de la
naïveté de Julien.
– Une foire ! s'écria-t-il ; mais,
mon ami, il n'y en a jamais aux Halles ; le bruit et le mouvement que tu
vois aujourd'hui sont le bruit et l'animation de chaque jour.
– Quoi ! c'est tous les jours comme
cela !
– Tous les jours. Il faut bien que ce grand paris
mange. Songe qu'il renferme deux millions et demi d'habitants, dont plus d'un
demi-million d'ouvriers qui travaillent avec courage depuis l'aube jusqu'au
soir. Tous ces habitants, en revenant du travail, de leurs affaires, de leurs
plaisirs, ont bon appétit et espèrent trouver à
dîner.
– Oh ! dit le petit Julien, ils auront certes de
quoi le faire. Jamais depuis que je suis au monde je n'ai vu en un seul jour
tant de provisions. Regarde, André, ce sont des montagnes de choux, de
salades : il y en a des tas hauts comme des maisons ! Et des mottes de
beurre empilées par centaines et par mille !
– Sais-tu, dit André, ce qu'il faut à
peu près de boeufs et de vaches pour nourrir Paris pendant un an ?
J'ai vu cela dans un livre, moi : il faut deux cent mille boeufs ou vaches,
cent mille veaux, un million de moutons et cent mille porcs, sans compter la
volaille, le poisson et le gibier.
– Mais, dit l'enfant, ce Paris est un Gargantua, comme
on dit ; où trouve-t-on tous ces troupeaux ?
– Julien, dit l'oncle Frantz, ces armées de
troupeaux arrivent à Paris de tous les points de la France : Paris a
sept gares de chemin de fer ; il a aussi la navigation de la Seine à
laquelle aboutissent les réseaux des canaux français. Par toutes
les voies les provisions arrivent. Tiens, regarde par exemple cet étalage
de légumes : il y a là des choses qui ont passé la mer
pour arriver à Paris ; voici des artichauts, penses-tu qu'il puisse
en pousser un seul en ce moment de l'année dans les campagnes voisines de
Paris ?
– Non, il faut encore trop froid.
– Eh bien, Alger où il faut chaud envoie les
siens à Paris, qui les lui paie très cher. Ces fromages viennent
du Jura, de l'Auvergne, du Mont-d'Or, que tu te rappelles bien ; ces
montagnes de beurre, ces paniers d'oeufs viennent de la grasse Normandie et de
la Bretagne : Paris mange chaque année pour plus de vingt millions
de francs d'oeufs environ, ce qui suppose trois cents millions d'oeufs.
– Oh ! dit Julien, que de monde est occupé
en France à nourrir Paris !
– Petit Julien, dit André, pendant que les
agriculteurs sèment et moissonnent pour Paris, Paris ne reste pas
à rien faire, lui, car c'est la ville la plus industrieuse du monde. Ses
ouvriers travaillent pour la France à leur tour, et leur travail est d'un
fini, d'un goût tels qu'ils n'ont guère de rivaux en Europe. Et les
savants de Paris, donc ! ils pensent et cherchent de leur
côté ; leurs livre et leurs découvertes nous arrivent
en province.
– Oui, ajouta l'oncle Frantz, ils nous enseignent
à cultiver notre intelligence, à chercher le mieux sans cesse,
pour faire de la patrie une réunion d'hommes instruits et
généreux, pour lui conserver sa place parmi les premières
nations du monde.