CVI. – L'Artois et la Picardie. – Le
siège de Calais.
Le courage rend égaux les riches et les pauvres,
les grands et les petits, dans la défense de la patrie.
Julien, tournant la page de son
livre, continua sa lecture :
L'Artois et la Picardie sont, comme la Flandre, des pays
de plaines très fertiles qui produisent en abondance le blé, le
colza et le lin. Ces trois provinces industrieuses, placées en face de
l'Angleterre, font aussi un grand commerce maritime. Par les ports de Boulogne
et de Calais passent chaque année, par centaines de mille, les personnes
qui se rendent d'Angleterre en France ou de France en Angleterre.
Il y a cinq cents ans, le roi d'Angleterre, Edouard III,
avait envahi la France et assiégé Calais. Les habitants, pendant
une année entière, soutinrent vaillamment le siège ;
mais les vivres vinrent à manquer, la famine était affreuse, il
fallut se rendre.
Le brave gouverneur de la ville, Jean de Vienne, fit
dire au roi d'Angleterre que Calais se rendait et que tous ses habitants
demandaient à quitter la ville.
Le roi répondit qu'il ne
les laisserait pas sortir, mais ferait tuer les plus pauvres et accorderait la
vie aux riches au prix d'une forte rançon.
EUSTACHE DE SAINT-PIERRE ET LES BOURGEOIS DE CALAIS.
– C'est en 1347 que le roi d'Angleterre réduisit à merci la
ville de Calais. Cette ville ne fut enlevée aux Anglais qu'en 1558 par le
duc de Guise. Calais a aujourd'hui 59 700 habitants ; c'est une place
forte de première classe.
Voici la belle réponse que
lui fit alors Jean de Vienne.
– Seigneur roi, nous avons tous combattu aussi
loyalement les uns que les autres, nous avons subi ensemble bien des
misères, mais nous en subirons de plus grandes encore plutôt que de
souffrir que le plus petit de la ville soit traité autrement que le plus
grand d'entre nous.
Le roi furieux répondit qu'en ce cas il les
ferait tous pendre.
Les chevaliers anglais réussirent pourtant
à le calmer un peu, et il se contenta d'exiger que Calais lui livrat six
bourgeois, parmi les notables, pour être mis à mort.
Le gouverneur de la ville vint alors au marché
pour annoncer la triste nouvelle. Il fit sonner la cloche. Au son de la cloche,
hommes et femmes se réunirent pour l'entendre.
Grande fut la consternation en apprenant l'arrêt
du roi d'Angleterre. Tous se regardaient les uns les autres, se demandant
quelles seraient parmi eux les six malheureuses victimes. Tout d'un coup le plus
riche bourgeois de la ville, Eustache de Saint-Pierre, se leva ; il
s'avança vers le gouverneur et, d'une voix ferme, il se proposa le
premier pour mourir.
Aussitôt trois autres
bourgeois imitent son noble exemple et, quand il ne reste plus que deux victimes
à choisir, tant d'habitants se proposent pour mourir et sauver leurs
concitoyens, que le gouverneur de la ville est obligé de tirer au
sort.
Ensuite les six bourgeois partirent au camp anglais, en
chemise, pieds nus, la corde au cou, portant les clefs de la ville. Ils
s'agenouillèrent devant le roi en lui tendant les clefs.
Il n'y eut alors, parmi les anglais, si vaillant homme
qui pût s'empêcher de pleurer en voyant le dévouement des six
bourgeois.
Seul, le roi d'Angleterre, jetant sur eux un coup d'oeil
de haine, commanda que l'on coupât aussitôt leurs têtes. Tous
les barons et chevaliers anglais versaient des larmes et demandaient de faire
grâce. Mais Edouard, grinçant des dents,
s'écria :
– Qu'on fasse venir le coupe-tête.
Au même moment la reine d'Angleterre arriva. Elle
se jeta à deux genoux aux pieds du roi, son époux :
– Grâce, grâce ! dit-elle ;
et elle pleurait à tel point qu'elle ne pouvait se soutenir. Ah !
gentil sire, je ne vous ai jamais rien demandé ; aujourd'hui je vous
le demande, pour l'amour de moi, ayez pitié de ces six
hommes !
Le roi garda le silence durant quelques moments,
regardant sa femme agenouillée devant lui : – Ah !
madame, dit-il, j'aimerais mieux que vous fussiez ailleurs qu'ici.
Enfin il s'attendrit et il accorda la grâce des
six héros de Calais.