CIV. – Le Nord et la Flandre. – Ses
canaux, son agriculture et ses industries. – Lille.
Les pays du Nord sont ceux que la nature a le moins
favorisés ; mais l'intelligence et le travail de l'homme ont
corrigé la nature et y ont produit des richesses.
Le lendemain nos amis se
séparèrent en se promettant de se revoir bientôt. Guillaume
allait retrouver sa femme. Frantz et se neveux se dirigeaient vers Phalsbourg
pour y terminer leurs affaires.
Lorsque le bateau quitta Dunkerque pour naviguer sur le
canal, Julien, debout sur le pont, observait le pays avec attention. –
Regarde bien, Julien, lui dit l'oncle Frantz, qui était tout près,
enfonçant dans l'eau sa longue perche ; le département du
Nord où nous voici vaut la peine que tu l'admires. C'est, après le
département de la Seine, le plus peuplé de France, et
l'agriculture comme l'industrie y est prospère.
FLANDRE, ARTOIS ET PICARDIE. – Ces provinces sont
riches et couvertes de villes florissantes. Leur fertilité en blé
les a fait nommer le grenier de la France. Lille a 210 600 habitants.
L'ancienne capitale de l'Artois était Arras (25 800 hab.),
fortifiée par Vauban. L'ancienne capitale de la Picardie était
Amiens (90 700 hab.). Cette ville importante est située sur la
Somme, rivière aux eaux dormantes. C'est encore un grand centre
industriel ; on y fabrique des tapis et des velours renommés.
Abbeville (20 400 hab.) est connue pour sa serrurerie.
En
effet, tout le long des bords du canal, souvent noircis par la poussière
du charbon de terre, on voyait se déployer de grandes plaines où
travaillaient sans relâche les cultivateurs affairés. On
était à la fin de janvier, et chacun préparait la terre
à recevoir les semences du printemps.
– Dans deux mois, ajouta l'oncle Frantz, ce ne sera
partout qu'un immense tapis vert : ici du chanvre et du lin, dont on fera
les belles toiles du Nord ou les dentelles de Valenciennes et de Douai ;
là, le colza, la navette et l'oeillette pour les huiles, le houblon pour
la bière, les betteraves pour les raffineries de sucre et pour la
nourriture des bestiaux, enfin les céréales de toute sorte ;
car ici il n'y a jamais un mètre de terrain inoccupé.
– Pourquoi ne voit-on pas de vaches dans les champs
par ici ? observa Julien.
– C'est qu'on les nourrit à l'étable
pour la plupart. Ce qui n'empêche pas les vaches flamandes d'être
une des plus belles races françaises. Elles sont grandes et donnent
beaucoup de lait. Les moutons flamands sont aussi renommés, avec leur
laine on fait les belles étoffes qui se vendent à Roubaix et
à Tourcoing.
L'OEILLETTE. – C'est le nom vulgaire de certains
pavots cultivés pour leurs graines. Le pavot renferme une substance
vénéneuse, l'opium, mais ses graines en sont totalement
dépourvues, et ce sont elles qui fournissent l'huile d'oeillette,
peut-être la meilleure après l'huile d'olive.
– Et
toutes ces grandes cheminées, mon oncle, dit Julien, qu'est-ce
donc ?
– Ce sont les cheminées d'usines de toute
sorte, raffineries de sucre, distilleries d'eau-de-vie, fabriques d'amidon.
Bientôt nous verrons les moulins à huile et à farine. Plus
tard nous rencontrerons des puits de mines : les mines d'Anzin et de
Valenciennes produisent à elles seules le tiers de toute la houille
retirée du sol français.
UNE FILATURE DE LIN A LILLE. – Le lin est de toutes
les fibres de plantes celle qu'il était le plus difficile de filer
à la mécanique. C'est par une merveille de l'industrie que les
machines réussissent maintenant à transformer ces fibres si
courtes en fils longs et souples qui vont s'enroulant sur des bobines.
–
Oh ! oh ! dit le petit Julien, je suis bien content de connaître
la Flandre ; je vois que le nord de la France n'en est pas la partie la
moins bonne.
Bientôt on arriva à Lille, la cinquième
ville de France, qui est en même temps une place forte de premier ordre,
tout entourée de remparts et de bastions, et qui soutint plusieurs
sièges héroïques. Julien fut envoyé faire quelques
commissions à travers Lille : il revint émerveillé du
mouvement qu'il avait vu partout, et du bruit des grands filatures dont on
entendait en passant siffler les machines à vapeur.
Comme il avait vu sur une place de Lille le nom de Philippe
de Girard, il songea aussitôt à interroger son livre sur ce grand
homme. – Quel bonheur, pensa-t-il, que j'eusse mon livre dans ma poche
lors de le tempête ! L'Océan ne l'a pas englouti, mon cher
livre ; il me semble que je l'aime plus encore, à présent
qu'il a fait avec moi tant de courses extraordinaires. Voyons ce qu'il va
m'apprendre sur Lille.
Et l'enfant ouvrit son livre.