XX. — La reconnaissance. — La lettre
d'André et de Julien à la mère Étienne.
On n'est jamais si heureux de
savoir écrire que quand on peut, par une lettre, montrer à un
absent son affection ou sa reconnaissance.
André
ne fut pas longtemps à songer au bienfait délicat de la
mère Étienne sans chercher comment il pourrait lui en
témoigner sa reconnaissance.
— Oh ! dit-il, je ne
puis faire qu'une seule chose en ce moment, c'est de lui écrire tout de
suite pour la remercier, et je n'y manquerai pas ; toi aussi, Julien, tu
vas lui écrire quelques lignes.
— Oui, certes, dit
l'enfant tout joyeux de penser qu'il savait écrire et qu'il pourrait, lui
aussi, remercier la mère Étienne. Mais, André, ajouta-t-il,
nous n'avons point de papier à lettres.
— Nous en
achèterons tout de suite, reprit André. Il ne faut jamais
être paresseux à écrire quand on doit le faire, et c'est
pour nous un devoir d'écrire à
Mme Étienne,
de lui dire combien nous lui sommes reconnaissants.
— Attends, s'écria
Julien avec vivacité, nous allons prendre une feuille de mon
cahier.
— C'est cela, dit
André en prenant le cahier que lui tendait l'enfant et en
déchirant proprement une feuille. La mère Étienne sait bien
que nous ne sommes pas riches, elle ne regardera pas au papier, mais aux
pensées qui seront dessus.
— Et de l'encre ? et
un timbre-poste ? dit Julien ; nous n'en avons pas.
— Eh bien, nous allons en
acheter.
André prit une de ses
pièces de cinq francs pour aller la changer ; mais
Mme Gertrude, bien
qu'elle fût occupée à laver sa vaisselle et à ranger
son ménage, avait néanmoins à peu près tout entendu
et tout compris ; elle s'y opposa.
— Non, non, dit-elle,
toute pièce changée est vite dépensée.
Économisons, mes enfants ; cela vaut mieux. J'ai là un vieil
encrier où il reste encore quelque peu d'encre ; on va mettre une
goutte d'eau, on remuera... Voyez, cela va à merveille. Quant au timbre,
j'en ai une réserve dans mon armoire, je vais vous le donner ; nous
arrangerons cela plus tard.
Les enfants obéirent, et
ils firent gentiment leur lettre tous les deux. Ensuite, ils prièrent
Mme Gertrude de la
lire, lui demandant si elle était bien comme cela.
La bonne dame était plus
instruite qu'elle n'en avait l'air.
Dans son jeune temps, avant de
se marier, elle avait été institutrice, et elle était fort
savante. Elle mit donc ses lunettes et lut attentivement les deux lettres. Quand
elle eut fini, elle essuya ses yeux qui étaient humides, et ouvrant ses
bras aux deux orphelins :
— Venez m'embrasser,
dit-elle. Je vois à la façon dont vos lettres sont tournées
que vous êtes deux bons coeurs, deux enfants bien élevés et
qui savent reconnaître un bienfait. J'ai l'air méfiante parce que
je suis vieille et que j'ai été souvent trompée ; mais
j'aime la jeunesse, et à présent que je vois ce que vous valez
tous les deux, je sens que je m'attache à vous. Chers enfants, quand on
fait son devoir, on est toujours sûr de gagner l'estime des honnêtes
gens.
On se coucha après cette
expansion. Nos jeunes orphelins, en s'endormant dans l'ancien lit du fils de la
vieille dame, étaient plus heureux peut-être d'avoir conquis de
vive force la sympathie de leur hôtesse que si elle la leur eût
accordée du premier coup ; car il y a plus de plaisir à
mériter la confiance par ses efforts qu'à l'obtenir sans
peine.