XXVI. — La modestie. — Histoire du peintre
Claude le Lorrain.
Voulez-vous qu'on pense et
qu'on dise du bien de vous, n'en dites point vous-même.
Un jour
Julien arriva de l'école bien satisfait, car il avait été
le premier de sa classe, et il avait beaucoup de bons points.
— Puisque vous avez si
joliment travaillé, Julien, dit
Mme Gertrude, venez
vous distraire avec moi. Je vais chercher de l'ouvrage au magasin qui me donne
des coutures ; il fait beau temps, nous suivrons les promenades
d'Épinal.
Julien tout joyeux s'empressa de
poser son carton d'écolier à sa place ;
Mme Gertrude mit
son châle, on ferma la porte à clef et on partit.
Chemin faisant, Julien, bien
fier d'avoir été le premier, se redressait de toute sa petite
taille. Il ne manqua point de dire à
Mme Gertrude que
pourtant il était parmi les plus jeunes de sa division. Il raconta
même, en passant devant la maison d'un camarade, que le petit
garçon qui demeurait là et qui avait deux ans de plus que lui n'en
était pas moins le dernier de la classe.
Enfin, je ne sais comment cela
se fit (c'était sans doute l'enthousiasme du succès), mais Julien
sortit de son naturel aimable et modeste jusqu'à se moquer du jeune
camarade en question, et il le déclara tout à fait sot.
— Eh mais, Julien, dit
Mme Gertrude,
est-ce que vous seriez vaniteux, par hasard ? je ne vous connaissais pas ce
défaut-là, mon enfant, et j'aurais bien du chagrin de vous le voir
prendre.
— Madame Gertrude, quand
on est le premier à l'école, est-ce qu'on ne doit pas en
être fier ?
— Mon enfant, vous pouvez
être content d'avoir le premier rang en classe sans pour cela vous moquer
des autres. Songez d'ailleurs que, si vous êtes moins sot qu'un autre, ce
n'est pas une raison d'en tirer vanité : avez-vous oublié,
Julien, que ce n'est point vous qui vous êtes fait ce que vous
êtes ? Et d'ailleurs, mon garçon, rien ne me prouve que le
camarade dont vous vous moquez n'ait pas cent fois plus d'esprit que
vous-même. Tenez, je veux vous dire une histoire qui rabaissera
peut-être votre vanité d'écolier, et qui vous montrera qu'il
ne faut pas juger sur l'apparence. Ecoutez cette histoire, Julien : c'est
celle d'un homme que ses obscurs commencements n'ont pas empêché de
devenir illustre : c'est celle d'un des plus grands peintres qui aient
jamais existé. Il s'appelait Claude Gelée, et on l'a
surnommé le Lorrain en l'honneur de son pays, car il est né dans
ce département et en est une des gloires.
Ce petit Claude était
fils de simples domestiques. Dans son enfance on le croyait presque
imbécile, tant son intelligence était lente et tant il avait de
peine à apprendre. Ses camarades d'école se moquaient alors de
lui, comme vous faisiez tout à l'heure, Julien, et cependant leur nom
à tous est resté inconnu, tandis que celui du petit Claude est
devenu célèbre dans le monde entier. Que cela vous apprenne, mon
ami, à ne plus vous moquer de personne et à ne plus vous croire
au-dessus de vos camarades.
Julien rougit un peu
embarrassé, et la bonne vieille reprit :
— Le pauvre enfant qui
était si mal partagé de la nature eut encore le malheur de perdre
son père et sa mère dès l'âge de douze ans.
Resté orphelin, on le mit en apprentissage chez un pâtissier, mais
il ne put jamais apprendre à faire de bonne pâtisserie. Son
frère aîné, qui était dessinateur, voulut lui
enseigner le dessin : il en put y réussir.
Enfin un parent du jeune Claude
l'emmena à Rome.
C'était en Italie et
à Rome que se trouvaient alors les plus grands peintres. Le petit Claude
fut placé à Rome au service d'un peintre pour apprêter ses
repas et aussi pour broyer ses couleurs. Il était là broyant sur
du marbre du blanc, du bleu, du rouge, et il voyait ensuite, grâce au
pinceau de son maître, toutes ces couleurs s'étendre sur la toile
et former de magnifiques tableaux.
Peu à peu il prit
goût à la peinture, et son maître lui donna quelques
leçons.
Lorsque Claude venait à
sortir de la ville et qu'il parcourait la campagne, il restait des heures
entières à regarder les paysages, les arbres, les prairies, les
jeux de lumière sur la montagne. Il se rappelait alors les couchers de
soleil de sa chère Lorraine, qu'il avait tant de fois contemplés
sans mot dire, alors que ses camarades d'école, qui ne remarquaient rien
des belles choses de la nature, jouaient étourdiment en se moquant de son
air endormi.
Claude était maintenant
sorti de ce long sommeil où s'était écoulée son
enfance. Il essaya de transporter sur les tableaux les paysages qui le
frappaient, et il y réussit si bien que, dès l'âge de
vingt-cinq ans, il s'était rendu illustre. Il travailla beaucoup et
devint très riche, car ses tableaux se vendaient à des prix fort
élevés.
De nos jours, leur valeur n'a
fait qu'augmenter avec le temps, et on estime à un demi-million quatre
tableaux de Claude le Lorrain qui ornent aujourd'hui le palais de
Saint-Pétersbourg. Ceux que nous avons à Paris, au musée du
Louvre, sont d'un prix inestimable. Eh bien, Julien, que pensez-vous de ce
récit ?
Claude le lorrain
peignant un tableau. —
La petite tablette qu'il tient de sa main gauche s'appelle la
palette ; c'est sur la palette que
sont étendues les couleurs, le bleu, le blanc, le noir, le rouge, etc. De
sa main droite, il tient le
pinceau.
Près de lui, un jeune aide est occupé à broyer les couleurs
que le peintre étendra ensuite sur la palette.
— Oh ! madame
Gertrude, répondit l'enfant, qui avait honte de sa faute, embrassez-moi,
je vous en prie, et oubliez les sottises que j'ai dites tout à l'heure.
Jamais plus, je vous le promets, je ne moquerai de personne.
— A la bonne heure, petit
Julien ! et, quand vous serez tenté de le faire, rappelez-vous notre
grand peintre de Lorraine, et que son souvenir vous rende modeste.
XXVII.
— Les grands hommes de guerre de la Lorraine. — Histoire de Jeanne
Darc.
N'attaquez
pas les premiers ; mais, si on vient vous attaquer, défendez-vous
hardiment, et vous serez les maîtres. JEANNE DARC
Le samedi
suivant, Julien fut encore le premier ; il était si content, qu'il
sautait de plaisir en revenant de l'école.
Mme
Gertrude était assise à sa fenêtre devant sa machine
à coudre. La fenêtre était ouverte, car il faisait beau
temps.
En relevant la tête,
Mme Gertrude
aperçut de loin le petit garçon : à son air satisfait
elle devina vite qu'il avait de bonnes nouvelles ; elle lui sourit
donc ; l'enfant aussitôt éleva en l'air ses bons points et
accourut à toutes jambes pour les lui mettre dans la main.
Cette fois il ne dit rien pour
se glorifier, mais le coeur lui battait d'émotion.
— Vous êtes un brave
enfant, Julien ; embrassez-moi, et dites-moi ce qui vous ferait le plus de
plaisir, car je veux vous récompenser.
Julien rougit, et lorsqu'il eut
embrassé la bonne dame :
— Peut-être bien,
madame Gertrude, qu'en cherchant dans votre mémoire vous y retrouveriez
encore une histoire à me raconter, comme celle de Claude le
Lorrain.
— Julien, puisque vous
aimez tant la Lorraine et que j'ai commencé à vous parler des
grands hommes qu'elle a donnés à la patrie, je veux bien
continuer.
Julien approcha sa petite chaise
pour mieux entendre ; car la machine à coudre faisait du bruit et il
ne voulait pas perdre une parole.
DROUOT. — Il naquit
à Nancy en 1774 et mourut en 1847. Homme de guerre et de science tout
à la fois, il fit la campagne d'Egypte sous Bonaparte et s'illustra plus
tard dans toutes les campagnes du premier empire, surtout dans les batailles de
Wagram, de la Moscowa, de Lutzen, où il décida la victoire.
Après Waterloo, il rallia les débris de l'armée et les
conduisit au delà de la Loire. Il se retira ensuite à Nancy,
où il mourut.
—
Vous saurez d'abord, Julien, que, toutes les fois qu'il s'est agi de
défendre la France, la Lorraine a fourni des hommes résolus et de
grands capitaines. Vous vous rappelez que la Lorraine est placée sur la
frontière française : nous sommes donc, nous autres Lorrains,
comme l'avant-garde vigilante de la patrie, et nous n'avons pas manqué
à notre rôle ; nous avons donné à la France de grands
généraux pour la défendre. Nancy a vu naître Drouot,
fils d'un pauvre boulanger, célèbre par ses vertus privées
comme par ses vertus militaires, et que Napoléon
I
er
appelait le
sage.
Bar-le-Duc
nous a donné Oudinot, qui fut
blessé trente-cinq fois dans les batailles, et Exelmans, autre
modèle de bravoure. Chevert, de Verdun, défendit une ville avec
quelques centaines d'hommes seulement et donna l'exemple d'une valeur
inflexible.
Et
votre ville de Phalsbourg, petit Julien, elle a vu naître le
maréchal Mouton, comte de Lobau, encore le fils d'un boulanger, qui
devint un de nos meilleurs généraux, "inflexible comme le devoir",
dont Napoléon disait : "Mon Mouton est un lion."
Mais si
les hommes, en Lorraine, se sont illustrés à défendre la
patrie, sachez qu'une femme de la Lorraine, une jeune fille du peuple, Jeanne
Darc, s'est rendue encore plus célèbre. Écoutez son
histoire.
LA MAISON DE JEANNE DARC.
— C'est à Domremy, en 1409, que naquit Jeanne Darc. On montre
encore aujourd'hui cette maison, qu'un Anglais voulut acheter en 1814 à
un prix élevé, mais que le propriétaire ne voulut pas lui
vendre. Près de la maison, en l'honneur de Jeanne Darc, on a fondé
une école gratuite pour les jeunes filles du pays.
I. Jeanne
Darc était née à Domremy, dans le département des
Vosges où nous sommes, et elle n'avait jamais quitté son
village.
Bien
souvent, tandis que ses doigts agiles dévidaient la quenouille de lin,
elle avait entendu dans la maison de son père raconter la grande
misère qui régnait alors au pays de France. Depuis quatre-vingts
ans la guerre et la famine duraient. Les Anglais étaient maîtres de
presque toute le France ; ils s'étaient avancés
jusqu'à Orléans et avaient mis le siège devant cette
ville ; ils pillaient et rançonnaient le pauvre monde. Les ouvriers
n'avaient point de travail, les maisons abandonnées s'effondraient, et
les campagnes désertes étaient parcourues par les brigands. Le roi
Charles VII, trop indifférent aux misères de son peuple, fuyait
devant l'ennemi, oubliant dans les plaisirs et les fêtes la honte de
l'invasion.
Lorsque la
simple fille songeait à ces tristes choses, une grande pitié la
prenait. Elle pleurait, priant de tout son coeur Dieu et les saintes du paradis
de venir en aide à ce peuple de France que tout semblait avoir
abandonné.
Un jour, à l'heure de
midi, tandis qu'elle priait dans le jardin de son père, elle crut
entendre une voix s'élever : — Jeanne, va trouver le roi de
France ; demande-lui une armée, et tu délivrera
Orléans.
Jeanne
était timide et douce ; elle se mit à fondre en larmes. Mais
d'autres voix continuèrent à lui ordonner de partir, lui
promettant qu'elle chasserait les Anglais.
Persuadée enfin que Dieu
l'avait choisie pour délivrer la patrie, elle se résolut à
partir.
Tout d'abord elle fut
traitée de folle, mais la ferme douceur de ses réponses parvint
à convaincre les plus incrédules. Le roi lui-même finit par
croire à la mission de Jeanne, et lui confia une armée.
STATUE DE JEANNE DARC À
ORLÉANS. — Les habitants d'Orléans, reconnaissants envers
Jeanne Darc qui avait sauvé leur ville, lui ont élevé une
statue. Cette statue est sur une des principales places d'Orléans,
cité de 67 300 âmes, d'un bel aspect, située sur les
bords de la Loire et du canal d'Orléans.
A ce
moment les Anglais étaient encore devant Orléans, et toute la
France avait les yeux fixés sur la malheureuse ville, qui
résistait avec courage, mais qui allait bientôt manquer de vivres.
Jeanne, à la tête de sa petite armée, pénétra
dans Orléans malgré les Anglais. Elle amenait avec elle un convoi
de vivres et de munitions.
Les courages se
ranimèrent. Alors Jeanne, entraînant le peuple à sa suite,
sortit de la ville pour attaquer les Anglais.
Dès la première
rencontre, elle fut blessée et tomba de cheval. Déjà le
peuple, la croyant morte, prenait la fuite : mais elle, arrachant
courageusement la flèche restée dans la plaie et remontant
à cheval, courut vers les retranchements des Anglais. Elle marchait au
premier rang et enflammait ses soldats par son intrépidité :
toute l'armée la suivit, et les Anglais furent chassés. peu de
jours après, ils étaient forcés de lever le
siège.
Après Orléans,
Jeanne se dirigea vers Reims, où elle voulait faire sacrer le roi.
D'Orléans à Reims la route était longue, couverte
d'ennemis. Jeanne les battit à chaque rencontre, et son armée
entra victorieuse à Reims, où le roi fut sacré dans la
grande cathédrale.
Jeanne déclara alors que
sa mission était finie et qu'elle devait retourner à la maison de
son père. Mais le roi n'y voulut pas consentir et la retint en lui
laissant le commandement de l'armée.
II. Bientôt Jeanne fut
blessée à Compiègne, prise par trahison et vendue aux
Anglais qui l'achetèrent dix mille livres. Puis les Anglais la
conduisirent à Rouen, où ils l'emprisonnèrent.
Le
procès dura longtemps. Les juges faisaient tout ce qu'ils pouvaient pour
embarrasser Jeanne, pour la faire se contredire et se condamner elle-même.
Mais elle, répondant toujours avec droiture et sans détours,
savait éviter les embûches.
— Est-ce que Dieu hait les
Anglais ? lui demandait-on. — Je n'en sais rien,
répondit-elle ; ce que je sais, c'est qu'ils seront tous mis hors de
France, sauf ceux qui y périront.
On lui demandait encore comment
elle faisait pour vaincre :
— Je disais : "Entrez
hardiment parmi les Anglais", et j'y entrais moi-même.
— Jamais, ajouta-t-elle,
je n'ai vu couler le sang de la France sans que mes cheveux se levassent.
Après ce long
procès, après des tourments et des outrages de toute sorte, elle
fut condamnée à être brûlée vive sur la place
de Rouen.
En écoutant la sentence
barbare, la pauvre fille se prit à pleurer. "Rouen ! Rouen !
disait-elle, mourrai-je ici ?" — Mais bientôt ce grand coeur
reprit courage.
Elle marche au supplice
tranquillement ; pas un mot de reproche ne s'échappa de ses
lèvres ni contre le roi qui l'avait lâchement abandonnée, ni
contre les juges iniques qui l'avaient condamnée.
Quand elle fut attachée
sur le bûcher, on alluma. Le Frère qui avait accompagné
Jeanne Darc était resté à côté d'elle, et tous
les deux étaient environnés par des tourbillons de fumée.
Jeanne, songeant comme toujours plus aux autres qu'à elle-même, eut
peur pour lui, non pour elle, et lui dit de descendre.
Alors il descendit et elle resta
seule au milieu des flammes qui commençaient à l'envelopper. Elle
pressait entre ses bras une petite croix de bois. On l'entendit crier :
Jésus ! Jésus ! et elle mourut.
Le peuple pleurait :
quelques Anglais essayaient de rire, d'autres se frappaient la poitrine,
disant : — Nous sommes perdus ; nous avons
brûlé une sainte.
Jeanne Darc, mon enfant, est
l'une des gloires les plus pures de la patrie.
Les autres nations ont eu de
grands capitaines qu'elles peuvent aux nôtres. Aucune nation n'a eu une
héroïne qui puisse se comparer à cette humble paysanne de
Lorraine, à cette noble fille du peuple de France.
Dame Gertrude se tut ;
Julien poussa un gros soupir, car il était ému, et, comme il
gardait le silence en réfléchissant tristement, on n'entendait
plus que le bruit monotone de la machine à coudre.
Au bout d'un moment, Julien
sortit de ses réflexions.
— Oh ! madame
Gertrude, s'écria-t-il, que j'aime cette pauvre Jeanne, et que je vous
remercie de m'avoir dit son histoire !