Titre Précedent Suivant Sommaire Index | XXII. — Le récit d'André. — Les chiffons changés en papier. — Les papeteries des Vosges.

XXII. — Le récit d'André. — Les chiffons changés en papier. — Les papeteries des Vosges.

Si vous parcouriez la France, que de merveilles vous admireriez dans l'industrie des hommes, à côté des beautés de la nature !
Les jours où il n'y avait pas de classes d'adultes, André passait la soirée avec son frère et la mère Gertrude. Le temps alors s'écoulait encore plus gaîment que de coutume, car André avait toujours quelque chose à raconter.
Un soir, il arriva tout joyeux de l'atelier.
— Julien, dit-il à son frère, si tu avais pu voir ce que j'ai vu aujourd'hui, cela t'aurait bien intéressé.
— Qu'as-tu donc vu ? fit l'enfant en s'approchant pour mieux écouter.
La mère Gertrude elle-même, qui était en train de couper le pain pour la soupe, s'interrompit et releva ses lunettes en signe d'attention.
— Imaginez-vous, dit André, que j'ai accompagné le premier ouvrier du patron qui allait faire une réparation dans une usine. Cet ouvrier, qui est savant, connaît les machines et ne s'en étonnait guère ; mais moi, c'est la première fois que j'en voyais marcher, aussi cela me faisait l'effet d'un rêve.
— Pourquoi donc, André ? s'écria Julien.
— Racontez-nous ce que vous avez vu, reprit la mère Gertrude, ce sera comme si nous étions allés avec vous ; pendant ce temps, je tremperai la soupe.
— Eh bien, reprit André, nous sommes allés à une grande papeterie ; il paraît qu'il y en a plusieurs aux environs d'Épinal. Tu sais, Julien, que le papier est fait avec des chiffons réduits en pâte.
— Oui, dit Julien, avec de vieux chiffons, de la paille et d'autres choses.
— Eh bien, reprit André, j'ai vu aujourd'hui des chiffons devenir du papier, et cela se faisait tout seul : les ouvriers n'avaient qu'à regarder et à surveiller la machine. Au fond de la salle, les chiffons étaient dans des grandes cuves, où j'entendais remuer une sorte de maillet qui les broyait pour en faire de la bouillie.
— C'était donc comme dans la baratte de la fermière ?
— Justement ; mais le marteau remuait tout seul. Je voyais ensuite la bouillie jaillir de la cuve et tomber sur des tamis percés de mille petits trous : ces tamis s'agitaient comme si une main invisible les eût secoués. Alors, peu à peu, la bouillie s'égouttait. Ensuite elle s'engageait entre des rouleaux, qui sont chauffés à l'intérieur tout exprès pour la dessécher, et elle passait de rouleau en rouleau. M'écoutes-tu, Julien ?
— Oui, André, et je crois voir tout ce que tu me dis. Cela faisait comme lorsque Mme Gertrude prépare un gâteau avec de la pâte : elle se sert d'un rouleau pour étendre la pâte et l'amincir.
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LA PAPETERIE. — A gauche se trouve la grande cuve carrée où les chiffons, réduits en pâte et blanchis, forment comme une bouillie liquide. Cette bouillie sort et jaillit sur les tamis où elle s'égoutte. Puis, elle se dessèche et s'aplatit entre les rouleaux. A droite on voit les ouvriers qui recueillent les feuilles de papier. — Outre les papeteries des Vosges, il y en a de très nombreuses aux environs d'Angoulême, à Essonne, à Annonay, etc.
— C'est cela même ; seulement les rouleaux de la papeterie tournaient tout seuls sans qu'on pût deviner qui les mettait en mouvement. Puis, sais-tu ce qui sortait à la fin de toute cette rangée de rouleaux ? C'était une interminable bande de papier blanc, qui se déroulait sans cesse comme un large ruban. La machine elle-même coupait cette bande comme avec des ciseaux, et les feuilles de papier tombaient alors toutes faites : les ouvriers n'avaient qu'à les ramasser. N'est-ce pas merveilleux, Julien ? à un bout de la grande salle, on voit des chiffons et une bouillie blanche ; à l'autre bout, des feuilles de papier sur lesquelles on pourrait tout de suite écrire ; et il ne faut qu'un petit nombre de minutes pour que la bouillie se change ainsi en papier.
— Oh ! j'aimerais bien à voir cela, moi aussi, dit Julien.
— On m'a dit, reprit André, que tout le long de la France nous rencontrerions bien d'autres machines aussi belles et aussi commodes, qui font toutes seules la besogne des ouvriers et travaillent à leur place, et je m'en suis revenu émerveillé de l'industrie des hommes.