XCIX. – La dernière rafale de la
tempête. – La barque désemparée.
Espérer et lutter jusqu'au bout est un
devoir.
A ce moment, une dernière
rafale s'éleva, mais si brusque, si violente que personne n'eut le temps
de s'y préparer. Une lame énorme, furieuse, venant de l'avant,
brisa d'un seul coup les deux rames. En même temps, elle emplit à
moitié d'eau la barque, roula Julien, aveugla André et l'oncle
Frantz, qui perdirent pied.
La bourrasque passée, nos quatre naufragés
furent presque étonnés de se retrouver encore ensemble et de voir
que la barque, quoique remplie d'eau, était toujours à flot. Par
malheur elle était absolument désemparée ; on ne
pouvait plus la diriger, on se trouvait comme une épave flottante
à la merci du vent et des vagues, qui pouvaient entraîner de
nouveau l'embarcation sur des récifs et l'y briser.
On s'empressa de vider le canot, ce qui fut long. Puis
chacun se rassit, en proie à de nouvelles anxiétés.
Guillaume était devenu sombre. Immobile au fond de la
barque, il suivait d'un oeil triste l'horizon brumeux. Ses paupières
étaient humides, comme si, par la pensée, il eût entrevu au
delà des côtes de l'Océan une petite maison cachée
sous les arbres, et au cher foyer de la maison une femme inquiète et
trois têtes blondes, celles de ses petites filles.
Un soupir profond souleva la poitrine du vieux marin, et ses
yeux continuèrent à se perdre dans l'horizon vide.
Alors deux bras caressants se posèrent sur son
épaule et la petite voix tendre de Julien s'éleva. On eût
dit que l'âme naïve de l'enfant avait lu dans celle du vieillard et
qu'elle venait lui répondre.
– Père Guillaume, murmura-t-il à son
oreille, je vous en supplie, ne soyez pas triste : vous reverrez votre
famille, votre maison...
– Espérons-le, Julien ! fit le vieillard en
serrant l'enfant dans ses bras.