VI. — Une déception. — La
persévérance
Il n'est guère
d'obstacle qu'on ne puisse surmonter avec de la
persévérance.
Une
déception attendait nos jeunes amis à leur arrivée dans la
maison isolée du garde Fritz, située aux environs de la
forêt. Fritz, grand vieillard à barbe grise, d'une figure
énergique, était étendu sur son lit qu'il n'avait pas
quitté depuis plusieurs jours. Le vieux chasseur était
tombé en descendant de la montagne et s'était fait une fracture
à la jambe.
— Voyez, mes enfants,
dit-il après avoir lu la lettre ; je ne puis bouger de mon lit.
Comment pourrais-je vous conduire ? Et je n'ai auprès de moi que ma
vieille servante, qui ne marche pas beaucoup mieux que moi.
André fut
consterné, mais il n'en voulut rien faire voir pour ne point
inquiéter le petit Julien.
Toute la nuit il dormit peu. Le
matin de bonne heure, avant même que Julien s'éveillât, il
s'était levé pour réfléchir. Il se dirigea sans
bruit vers le jardin du garde, voulant examiner le pays, qu'il n'avait vu que le
soir à la brune.
CARTE DE LA LORRAINE ET DE
L'ALSACE, ET CHAÎNE DES VOSGES. — La Lorraine,
séparée de l'Alsace par la chaîne des Vosges, est une
contrée montueuse, riche en forêts, en lacs, en étangs et en
mines de métaux et de sel. Elle a de beaux pâturages. Outre le
blé et la vigne, on y cultive le lin, le chanvre, le houblon qui sert
à faire la bière : l'agriculture y est, comme l'industrie,
très perfectionnée. Une partie de la Lorraine et l'Alsace
entière, sauf Belfort, ont été enlevées à la
France par l'Allemagne en 1870.
Assis sur
un banc au bord de la Sarre, qui coule le long du jardin entre deux haies de
bouleaux et de saules, André se tourna vers le sud, et il regarda
l'horizon borné par les prolongements de la chaîne des
Vosges.
— C'est là, se
dit-il, que se trouve la
France,
là que je dois la nuit prochaine emmener mon petit Julien, là
qu'il faut que je découvre, sans aucun secours, un sentier assez peu
fréquenté pour n'y rencontrer personne et passer librement
à la frontière. Comment ferai-je ?
Et il continuait de regarder
avec tristesse les montagnes qui le séparaient de la France, et qui se
dressaient devant lui comme une muraille infranchissable.
Des pensées de
découragement lui venaient ; mais André était
persévérant : au lieu de se laisser accabler par les
difficultés qui se présentaient, il ne songea qu'à les
combattre.
Tout à coup il se souvint
d'avoir vu dans la chambre du garde forestier une grande carte du
département, pendue à la muraille : c'était une de ces
belles cartes dessinées par l'état-major de l'armée
française, et où se trouvent indiqués jusqu'aux plus petits
chemins.
— Je vais toujours
l'étudier, se dit André. A quoi me servirait d'avoir
été jusqu'à treize ans le meilleur élève de
l'école de Phalsbourg, si je ne parvenais à me reconnaître
à l'aide d'une carte ? Allons ! du courage ! n'ai-je pas
promis à mon père d'en avoir ? Je dois passer la
frontière et je la passerai.