Titre Précedent Suivant Sommaire Index | LXVIII. — La dévideuse de cocons. Les fils de soie. — Les chrysalides et la mort du ver à soie. — Comment les vers à soie ont été apportés dans le comtat Venaissin. |
LXVIII. — La dévideuse de cocons. Les
fils de soie. — Les chrysalides et la mort du ver à soie. —
Comment les vers à soie ont été apportés dans le
comtat Venaissin.
Le ver à soie nous a
été apporté de Chine, le coton nous vient
d'Amérique ; toutes les parties du monde contribuent à nous
donner les choses dont nous avons besoin.
Les
enfants qui venaient d'entrer échangèrent quelques mots avec leur
mère, puis ils s'approchèrent d'André et de Julien.
André leur répéta la question qu'il avait adressée
à l'hôtesse : — Est-ce que vous avez des vers à
soie dans la maison, et pourrait-on en voir ?
— La saison est trop
avancée, dit l'aîné des enfants ; les
éducations des magnans sont
finies.
— Ah ! bien, fit le
plus jeune, si on ne peut vous montrer les vers, on peut vous faire voir leur
ouvrage. Venez avec moi : ma soeur aînée est ici tout
près, en train de dévider les cocons de la récolte !
vous la verrez faire.
André et Julien
passèrent dans une pièce voisine. Auprès de la
fenêtre une femme était assise devant un métier à
dévider. — Approchez-vous, dit-elle aux deux enfants avec
affabilité et en bon français, car elle ne manquait pas
d'instruction. Tenez, mon petit garçon, prenez dans votre main ce cocon
et regardez-le bien. C'est le travail de nos vers à soie.
COCON. — Le cocon est un
enveloppe soyeuse que se filent la plupart des chenilles et où elles
s'endorment. En secouant le cocon on entend dedans le ver endormi.
—
Quoi ! dit Julien, cela n'est pas plus gros qu'un oeuf de pigeon, et c'est
doux à toucher comme un duvet.
— A présent, reprit
l'agile dévideuse, regardez-moi faire. Il s'agit de dévider les
cocons, et ce n'est pas facile, car le fil de soie est si fin, si fin, qu'il en
faudrait une demi-douzaine réunis pour égaler la grosseur d'un de
vos cheveux. N'importe, il faut tâcher d'être adroite.
En disant cela la
dévideuse, qui avait, en effet, l'adresse d'une fée, battait avec
un petit balai de bruyère les cocons, qu'elle avait placés dans
une bassine d'eau bouillante afin de décoller les fils. Le premier fil
une fois trouvé, elle le posait sur le bord de la bassine tout prêt
à prendre. Ensuite elle en réunissait quatre ou cinq, afin
d'obtenir un fil plus gros et plus solide ; puis elle imprimait le
mouvement au métier et la soie de trouvait dévidée en
écheveaux.
OUVRIÈRE DU
DAUPHINÉ FILANT LA SOIE DES COCONS. — A mesure que les fils de soie
se déroulent des cocons, ils s'enfilent par deux trous que l'on voit
à droite et à gauche, puis ils passent sur deux crochets au-dessus
de la tête de la dévideuse, et de là vont s'enrouler sur un
dévidoir qu'on ne voit pas dans la gravure. Ce dévidoir est mis en
mouvement par les pieds de la fileuse ou par l'aide d'une autre personne.
Julien
suivait des yeux les cocons, qui sautaient dans la bassine comme auraient pu
faire de petits pelotons qu'on aurait été en train de
dépelotonner. A mesure que le métier tournait, les cocons se
dévidaient et diminuaient de grosseur. Bientôt la fin du fil
arriva, et Julien vit, de chaque cocon fini, quelque chose de noir
s'échapper dans l'eau.
— Qu'est-ce que
cela ? fit-il.
— Ce sont les chrysalides,
dit la fileuse. On appelle ainsi les vers qui se sont transformés. Vous
savez bien, mon enfant, que le cocon filé par le ver à soie est
une sorte de nid où il se retire comme pour s'endormir.
— Oui, madame, dit Julien,
j'en ai même vu l'image en classe dans mon livre de lecture ; mais le
livre dit aussi que le ver à soie s'éveille par la suite, qu'il
perce le cocon et sort alors changé en papillon.
— Oui, dit la fileuse,
quand on le laisse faire ; mais nous ne le laissons pas
s'éveiller ; car, s'il perçait le cocon, adieu la soie. Il ne
resterait plus que mille petits brins brisés, au lieu de ce joli fil long
de trois cent cinquante mètres.
— Comment
l'empêche-t-on de sortir ? dit Julien.
— On ramasse les cocons
dans une armoire chauffée par la vapeur d'une chaudière : la
vapeur étouffe les chrysalides, et elles restent mortes à
l'intérieur de leurs cocons avant d'avoir eu la force de briser la soie.
Ce sont les chrysalides que vous voyez flotter sur l'eau.
CHRYSALIDE. — Les
insectes du genre de la chenille, avant de devenir papillons, restent pendant un
temps plus ou moins long immobiles dans une enveloppe, sans prendre de
nourriture. L'insecte dans cet état se nomme chrysalide.
—
Quoi ? Madame, vous tuez ainsi tous nos pauvres vers ?
— Non ; pas tous.
Nous en laissons quelques-uns percer leur prison et s'envoler. Aussitôt
sortis, ils se hâtent de pondre de petits oeufs. On recueille
précieusement ces oeufs, cette
graine ; on la ramasse, et, au
mois de mai prochain, de ces graines sortiront de jeunes vers à soie.
Nous les soignerons comme il faut, et ils nous donneront en échange de
nouveaux cocons.
— Qui donc a songé
à élever les premiers vers à soie ? est-ce quelqu'un
de votre pays ?
— Les vers à soie
ne sont point des insectes de notre pays, mon enfant : ils sont originaires
de la Chine. En Chine, on les élève en plein air sur les arbres,
et non dans les chambres comme chez nous où il fait plus froid.
— La Chine, dit Julien,
c'est en Asie.
— Oui, mon enfant ;
des moines voyageurs, en grand secret, ont rapporté le ver à soie
de Chine en Europe. Comme les Chinois voulaient garder pour eux cette industrie
précieuse, ils défendaient sous des peines sévères
de la faire connaître aux étrangers ; mais les moines
cachèrent des oeufs de ver à soie dans des cannes creuses, et ils
les emportèrent en Europe avec des plants de mûrier. Plus tard, ce
fut un pape qui dota la France de l'industrie des vers à soie.
— Et comment cela ?
demanda Julien.
— Vous connaissez bien le
comtat Venaissin, qui est tout près d'ici ? A cette époque,
le comtat appartenait aux papes. Grégoire X y fit planter des
mûriers et éleva des vers à soie. Bientôt on imita
dans toute la vallée du Rhône les gens du comtat, et à
présent on élève des milliards de vers chaque
année.
Julien remercia beaucoup la
fileuse de tout ce qu'elle venait de lui apprendre, et on alla se mettre
à table.