Titre Précedent Suivant Sommaire Index | LVI. — Une ferme dans les montagnes d'Auvergne. — Julien et le jeune vannier Jean-Joseph. — La veillée.

LVI. — Une ferme dans les montagnes d'Auvergne. — Julien et le jeune vannier Jean-Joseph. — La veillée.

Enfants, si par la pensée vous vous mettiez à la place de ceux qui ont perdu leurs parents, combien les vôtres vous deviendraient plus chers !
Nos trois voyageurs arrivèrent à un hameau situé dans la montagne au milieu des "bois noirs", comme on les appelle, à une dizaine de kilomètres de Thiers. On descendit chez un fermier du hameau que le patron connaissait. Puis M. Gertal, qui ne perdait jamais une minute, courut la campagne pour acheter des fromages d'Auvergne. Il les fit porter dans sa voiture, afin qu'on fût prêt à repartir le lendemain.
Pendant ce temps, Julien et André étaient restés chez la fermière et passaient la veillée en famille. Les femmes, réunies autour de la lampe, étaient occupées à faire de la dentelle ; les hommes, rudes bûcherons de la montagne, aux épaules athlétiques, reposaient non loin du feu leurs membres fatigués, tandis que la ménagère préparait la soupe pour tout le monde.
Dans un coin voisin du foyer, un petit garçon de l'âge de Julien, assis par terre, tressait des paniers d'osier.
Julien s'approcha de lui, portant sous son bras le précieux livre d'histoires et d'images que lui avait donné la dame de Mâcon ; puis il s'assit à côté de l'enfant.
Le jeune vannier se rangea pour faire face à Julien, et sans rien dire le regarda avec de grands yeux timides et étonnés ; puis il reprit son travail en silence.
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LE VANNIER. — C'est l'ouvrier qui fabrique des vans, des corbeilles et des paniers, avec des brins d'osier, de saule et autres tiges flexibles qu'il entrelace adroitement. Les vanniers ne doivent pas tenir serrées entre leurs lèvres les baguettes d'osier dont ils veulent se servir ni les mâcher entre leurs dents : cette mauvaise habitude entraîne des maladies de la bouche.
Ce silence ne faisait pas l'affaire de notre ami Julien, qui s'empressa de le rompre.
— Comment vous appelez-vous ? dit-il avec un sourire expansif. Moi, j'ai bientôt huit ans, et je m'appelle Julien Volden.
— Je m'appelle Jean Joseph, dit timidement le petit vannier, et j'ai huit ans aussi.
— Moi, j'ai été à l'école à Phalsbourg et à Épinal, dit julien, et j'ai là un livre où il y a de belles images ; voulez-vous les voir, Jean-Joseph ?
Jean-Joseph ne leva pas les yeux.
— Non, dit-il, avec un soupir de regret ; je n'ai pas le temps : ce n'est pas dimanche aujourd'hui et j'ai à travailler.
— Si je vous aidais ? dit aussitôt le petit Julien, avec son obligeance habituelle ; cela n'a pas l'air trop difficile, et vous auriez plus vite fini votre tâche.
— Je n'ai pas de tâche, dit Jean-Joseph. Je travaille tant que la journée dure, et j'en fais le plus possible pour contenter mes maîtres.
— Vos maîtres ! dit Julien surpris, les fermiers d'ici ne sont donc pas vos parents ?
— Non, dit tristement le petit garçon ; je ne suis ici que depuis deux jours : j'arrive de l'hospice, je n'ai pas de parents.
Le gentil visage de Julien s'assombrit :
— Jean-Joseph, moi non plus je n'ai pas de parents.
Jean-Joseph secoua la tête : — Vous avez un grand frère, vous ; mais moi, je n'ai personne du tout.
— Personne ! répéta Julien lentement, comme si cela lui paraissait impossible à comprendre. Pauvre Jean-Joseph !
Et les deux enfants se regardèrent en silence. Près d'eux, André debout les observait. Il n'avait pas perdu un mot de leur conversation, et, malgré lui, le visage triste du petit Jean-Joseph lui serra le coeur : il songea combien son cher Julien était heureux d'avoir un grand frère pour l'aimer et veiller sur lui.
Cependant Julien rompit de nouveau le silence : — Jean-Joseph, dit-il, aimez-vous les histoires ?
— Je crois bien, répondit le jeune vannier ; c'est tout ce qui m'amuse le plus au monde. Mais je n'ai pas le temps de lire. — Et il jeta un regard d'envie sur le livre de Julien.
— Eh bien, dit Julien, voilà ce que nous allons faire. Je vous lirai une histoire de mon livre ; je lirai tout bas ; cela ne dérangera personne et cela nous amusera tous les deux, sans vous faire perdre de temps.
Le visage de Jean-Joseph s'épanouit à son tour en un joyeux sourire : — Oui, oui, lisez, Julien. Quel bonheur ! vous êtes bien aimable de partager avec moi votre récréation.
Julien tout heureux, ouvrit son livre.
— Ces histoires-là, dit-il, ce ne sont pas des contes du tout, c'est arrivé pour de bon, Jean-Joseph. Ce sont les histoires des hommes illustres de la France : il y en a eu dans toutes les provinces, car la France est une grande nation ; mais nous lirons l'histoire des hommes célèbres de l'Auvergne, puisque vous êtes né en Auvergne, Jean-Joseph.
— C'est cela, dit Jean-Joseph, voyons les grands hommes de l'Auvergne.
Julien commença à voix basse, mais distinctement.