LVII. — Les grands hommes de l'Auvergne. —
Vercingétorix et l'ancienne Gaule.
Il y a eu parmi nos
pères et nos mères dans le passé des hommes et des femmes
héroïques : le récit de ce qu'ils ont fait de grand
élève le coeur et excite à les imiter.
La France, notre patrie,
était, il y a bien longtemps de cela, presque entièrement couverte
de grandes forêts. Il y avait peu de villes, et la moindre ferme de votre
village, enfants, eût semblé un palais. La France s'appelait alors
la Gaule, et les hommes à demi sauvages, qui l'habitaient étaient
les Gaulois.
Nos ancêtres, les Gaulois, étaient grands
et robustes, avec une peau blanche comme le lait, des yeux bleus et de longs
cheveux blonds ou roux qu'ils laissaient flotter sur leurs épaules.
Ils estimaient avant toutes choses le courage et la
liberté. Ils se riaient de la mort, ils se paraient pour le combat comme
pour une fête.
Leurs femmes, les Gauloises, nos mères dans le
passé, ne leur cédaient en rien pour le courage. Elles suivaient
leurs époux à la guerre ; des chariots traînaient les
enfants et les bagages ; d'énormes chiens féroces escortaient
les chars.
—Regardez un peu,
Jean-Joseph, l'image des chariots de guerre.
Jean-Joseph jeta un coup d'oeil
rapide et Julien reprit :
CHARIOT DE GUERRE DES GAULOIS.
— Nos ancêtres de la Gaule aimaient beaucoup la guerre et les
voyages. Ils s'assemblaient par grandes multitudes : les uns montaient sur
des chars, les autres allaient à pied, et ils partaient ainsi à la
conquête de lointains pays. Dans les batailles ils lançaient des
flèches et des javelines du haut des chars comme du haut de tours
roulantes.
L'histoire de ce qui s'est
passé en ce temps-là dans la Gaule, notre patrie, est
émouvante.
Il y a bientôt deux mille ans, un grand
général romain, Jules César, qui aurait voulu avoir le
monde entier sous sa domination, résolut de conquérir la
Gaule.
Nos pères de défendirent vaillamment, si
vaillamment que les armées de César, composées des
meilleurs soldats du monde, furent sept ans avant de soumettre notre
patrie.
Mais enfin la Gaule, couverte du sang de ses enfants,
épuisée par la misère, se rendit.
Un jeune Gaulois, né en Auvergne, résolut
alors de chasser les Romains de la patrie.
Il parla si éloquemment de son projet à
ses compagnons que tous jurèrent de mourir plutôt que de subir le
joug romain. En même temps, ils mirent à leur tête un jeune
guerrier et lui donnèrent le titre de
Vercingétorix, qui veut dire
chef.
Bientôt Vercingétorix envoya en secret,
dans toutes les parties de la Gaule, des hommes chargés d'exciter les
Gaulois à se soulever. On se réunissait la nuit sous l'ombre
impénétrable des grandes forêts, auprès des
énormes pierres qui servaient d'autels : on parlait de la
liberté, on parlait de la patrie, et l'on promettait de donner sa vie
pour elle.
UN AUTEL DES ANCIENS GAULOIS.
— On trouve dans certaines contrées de la France, et surtout en
Bretagne, des sortes de grandes tables de pierre qui, construites depuis les
temps les plus reculés, servaient d'autels aux Gaulois, nos
ancêtres. C'est sur ces tables qu'ils sacrifiaient leurs victimes, et ces
victimes étaient parfois des hommes, des prisonniers de guerre, des
esclaves. On appelle ces monuments de pierre des
dolmens.
Julien s'interrompit encore pour
montrer à Jean-Joseph un autel des anciens Gaulois, puis il reprit sa
lecture :
Au jour désigné d'avance, la Gaule
entière se souleva d'un seul coup, et ce fut un réveil si terrible
que, sur plusieurs points, les légions romaines furent
exterminées.
César, qui se préparait alors à
quitter la Gaule, fut forcé de revenir en toute hâte, pour
combattre Vercingétorix et les Gaulois révoltés. Mais
Vercingétorix vainquit César à Gergovie.
— Gergovie, dit
Jean-Joseph, ce devait être un endroit à côté de
Clermont, car j'ai entendu parler du plateau de Gergovie. Continuez, Julien,
j'aime ce Vercingétorix.
Six mois durant,
Vercingétorix tint tête à César, tantôt
vainqueur, tantôt vaincu.
Enfin César réussit à enfermer
Vercingétorix dans la ville d'Alésia, où celui-ci
s'était retiré avec soixante mille hommes.
Alésia, assiégée et cernée
par les Romains, comme notre grand Paris l'a été de nos jours par
les Prussiens, ne tarda pas à ressentir les horreurs de la famine.
— Oh ! dit Julien, un
siège, je sais ce que c'est : c'est comme à Phalsbourg,
où je suis né et où j'étais, quand les Allemands
l'ont investi. J'ai vu les boulets mettre le feu aux maisons, Jean-Joseph ;
papa, qui était charpentier et pompier, a été blessé
à la jambe en éteignant un incendie et en sauvant un enfant qui
serait mort dans le feu sans lui.
— Il était brave,
votre père, dit Jean-Joseph avec admiration.
— Oui, dit Julien, et nous
tâcherons de lui ressembler, André et moi. Mais voyons la fin de
l'histoire :
La ville, où les habitants mouraient de faim,
songeait à la nécessité de se rendre, lorsqu'une
armée de secours venue de tous les autres points de la Gaule se
présenta sous les murs d'Alésia.
Une grande bataille eut
lieu ; les Gaulois furent d'abord vainqueurs, et César, pour exciter
ses troupes, dut combattre en personne. On le reconnaissait à travers la
mêlée à la pourpre de son vêtement. Les Romains
reprirent l'avantage ; ils enveloppèrent l'armée gauloise. Ce
fut un désastre épouvantable.
VERCINGÉTORIX, de la
tribu des Arvernes (habitants de l'Auvergne), vivait au dernier siècle
avant J.C.
Dans la nuit qui suivit cette
funeste journée, Vercingétorix, voyant la cause de la patrie
perdue, prit une résolution sublime. Pour sauver la vie de ses
frères d'armes, il songea à donner la sienne. Il savait combien
César le haïssait ; il savait que plus d'une fois, dès
le commencement de la Guerre, César avait cherché à se
faire livrer Vercingétorix par ses compagnons d'armes, promettant
à ce prix de pardonner aux révoltés. Le noble coeur de
Vercingétorix n'hésita point : il résolut de se livrer
lui-même.
Au matin, il rassembla le conseil de la ville et y
annonça ce qu'il avait résolu. On envoya des parlementaires porter
ses propositions à César. Alors, se parant pour son sacrifice
héroïque comme pour une fête, Vercingétorix,
revêtu de sa plus riche armure, monta sur son cheval de bataille. Il fit
ouvrir les portes de la ville, puis s'élança au galop
jusqu'à la tente de César.
Arrivé en face de son ennemi, il arrête
tout d'un coup son cheval, d'un bond saute à terre, jette aux pieds du
vainqueur ses armes étincelantes d'or, et fièrement, sans un seul
mot, il attend immobile qu'on le charge de chaînes.
Vercingétorix avait un beau et noble
visage ; sa taille superbe, son attitude altière, sa jeunesse
produisirent un moment d'émotion dans le camp de César. Mais
celui-ci, insensible au dévouement du jeune chef, le fit enchaîner,
le traîna derrière son char de triomphe en rentrant à Rome,
et enfin le jeta dans un cachot.
Six ans Vercingétorix languit à Rome dans
ce cachot noir et infect. Puis César, comme s'il redoutait encore son
rival vaincu, le fit étrangler.
— Hélas ! dit
Jean-Joseph avec amertume, il était bien cruel, ce César.
— Ce n'est pas tout,
Jean-Joseph, écoutez :
Enfants, réfléchissez en votre coeur, et
demandez-vous lequel de ces deux hommes, dans cette lutte, fut le plus
grand.
Laquelle voudriez-vous avoir en vous, de l'âme
héroïque du jeune Gaulois, défenseur de vos ancêtres,
ou de l'âme ambitieuse et insensible du conquérant
romain ?
— Oh ! s'écria
Julien tout ému de sa lecture, je n'hésiterais pas, moi, et
j'aimerais encore mieux souffrir tout ce qu'a souffert Vercingétorix que
d'être cruel comme César.
— Et moi aussi, dit
Jean-Joseph. Ah ! je suis content d'être né en Auvergne comme
Vercingétorix.
On garda un instant le silence.
Chacun songeait en lui-même à ce que Julien venait de lire. Puis le
jeune garçon, reprenant son livre, continua sa lecture.