IV. — Les soins de la mère Étienne.
— Les papiers d'André. — Un don fait en secret. — La
charité du pauvre
Ce qu'il y a de plus beau au
monde, c'est la charité du pauvre.
Le
lendemain, de bon matin,
M
me Étienne
était sur pied.
En vrai mère de famille,
elle visita les deux paquets de linge et d'habits que les jeunes voyageurs
portaient sur l'épaule, et elle mit de bonnes pièces aux pantalons
ou aux blouses qui en avaient besoin. En même temps elle avait
allumé le poêle, ce meuble indispensable dans les pays froids du
nord, qui sert tout à la fois à chauffer la maison et à
préparer les aliments. Elle étendit tout autour les
vêtements mouillés des enfants : lorsqu'ils furent secs, elle
les brossa et les répara de son mieux.
Tandis qu'elle pliait avec soin
le gilet d'André, un petit papier bien enveloppé tomba d'une des
poches.
LE POÊLE. — Le
poêle est nécessaire dans les pays froids comme ceux de l'est et du
nord ; car il donne plus de chaleur qu'une cheminée, mais cette
chaleur est moins saine, elle rend l'air trop sec. Pour y remédier, il
est bon de placer sur les poêles en fonte un vase rempli d'eau.
—
Oh ! se dit l'excellente femme, ce doit être là qu'est
renfermée toute la fortune de ces deux enfants ; si, comme je le
crains, la bourse est trop légère, on fera son possible pour y
ajouter quelque chose.
Et elle développa le
petit paquet. — Dix, vingt, trente, quarante francs, se dit-elle ;
que c'est peu pour aller si loin !... la route est bien longue d'ici
à Marseille. Et les jours de pluie, et les jours de neige ! car
l'hiver bientôt va venir... Les yeux de la mère Étienne
étaient humides.
— Et dire qu'avec si peu
de ressources ils n'ont point hésité à partir ! O
chère France ! tu es bien malheureuse en ce moment, mais tu dois
pourtant être fière de voir que, si jeunes, et pour rester tes
fils, nos enfants montrent le courage des hommes... Pauvres orphelins,
soupira-t-elle, puissiez-vous rencontrer durant cette longue route des coeurs
compatissants, et pendant les froides soirées de l'hiver trouver une
petite place au foyer de nos maisons.
Pendant qu'elle songeait ainsi
en son coeur, elle s'était approchée de son armoire et elle
atteignait sa petite réserve d'argent, bien petite, hélas !
car le père et la mère Étienne avaient cruellement souffert
des malheurs de la guerre. Néanmoins, elle y prit deux pièces de
cinq francs et les joignit à celles d'André.
— Étienne sera
content, dit-elle : il m'a recommandé de faire tout ce que je
pourrais pour les enfants de son vieux camarade.
Quand elle eut glissé
dans la bourse les pièces d'argent :
— Ce n'est pas le tout,
dit-elle : examinons ce rouleau qui enveloppait la bourse, et voyons si nos
orphelins ont songé à se procurer de bons papiers, attestant
qu'ils sont d'honnêtes enfants et non des vagabonds sans feu ni lieu...
Ah ! voici d'abord le certificat du patron d'André :
"J'atteste
que le jeune André Volden a travaillé chez moi dix-huit mois
entiers sans que j'aie eu un seul reproche à lui faire. C'est un
honnête garçon, laborieux et intelligent : je suis prêt
à donner de lui tous les renseignements que l'on voudra. Voici mon
adresse ; on peut m'écrire sans crainte.
PIERRE
HETMAN,
maître
serrurier, établi depuis trente ans à Phalsbourg"
— Bien, cela ! dit
Mme Étienne
en repliant le certificat. Et ceci, qu'est-ce ? Ah ! c'est leur
extrait de naissance, très bien. Enfin, voici une lettre de maître
Hetman à son cousin, serrurier à Épinal, pour le prier
d'occuper André un mois : André portera ensuite son livrer
d'ouvrier à la mairie d'Épinal et M. le Maire y mettra sa
signature. De mieux en mieux. Les chers enfants n'ont rien
négligé : ils savent que tout ouvrier doit avoir des
certificats en règle. Allons, espérons, tout ira bien.
Lorsque Julien et André
s'éveillèrent, ils trouvèrent leurs habits en ordre et tout
prêts à être mis ; et cela leur parut merveilleusement
bon, car les pauvres enfants, ayant perdu leur mère de bonne heure,
n'étaient plus accoutumés à ces soins et à ces
douces attentions maternelles.
Julien, dès qu'il fut
habillé, peigné, le visage et les mains bien nets, courut avec
reconnaissance embrasser
Mme Étienne,
et la remercia d'un si grand coeur qu'elle en fut tout émue.
— Cela est bel et bon,
répondit-elle gaîment, mais il faut déjeuner. Vite, les
enfants, prenez ce pain et ce fromage, et mangez.