II. — Le souper chez Étienne le sabotier.
L'hospitalité.
Le nom d'un père
honoré est une fortune pour les enfants.
— Qui
est là ? fit du dedans une grosse voix rude.
Au même instant, un
aboiement formidable s'éleva d'une niche située non loin de la
porte.
LE CHIEN DE MONTAGNE. — Ce chien est ordinairement
d'une taille très haute ; il a la tête grosse et la mâchoire
armée de crocs énormes. Les poils de sa robe sont long et soyeux.
Dans la montagne, il garde les troupeaux et au besoin les défend contre
les loups et les ours. Les plus beaux chiens sont ceux du mont Saint-Bernard,
dans les Alpes, ceux des Pyrénées et ceux de l'Auvergne.
— André Volden,
dit-il d'un accent si mal assuré que les aboiements
empêchèrent d'entendre cette réponse.
En même temps, le chien de
montagne, sortant de sa niche et tirant sur sa chaîne, faisait mine de
s'élancer sur les enfants.
— Mais qui frappe
là, à pareille heure ? reprit plus rudement la grosse
voix.
— André Volden,
répéta l'enfant ; et Julien mêla sa voix à celle de
son frère pour mieux se faire entendre.
Alors la porte s'ouvrit toute
grande, et la lumière de la lampe, tombant d'aplomb sur les petits
voyageurs debout près du seuil, éclaira leurs vêtements de
deuil trempés d'eau, leurs jeunes visages trempés et
interdits.
L'homme qui avait ouvert la
porte, le père Étienne, les contemplait avec une sorte de
stupeur.
— Hélas! qu'y
a-t-il, mes pauvres enfants ? dit-il en adoucissant sa voix, d'où
venez-vous ? où est le père ?
Et, avant même que les
orphelins eussent le temps de répondre, il avait soulevé de terre
le petit Julien et le serrait paternellement dans ses bras.
L'enfant, avec la
vivacité de sentiment naturelle à son âge, embrassa de tout
son coeur le vieil Étienne, et poussa un grand soupir : — Le
père est mort, dit-il.
— Comment! s'écria
Étienne avec émotion, mon brave Michel est mort ?
— Oui, répondit
l'enfant. Depuis la guerre, sa jambe blessée au siège de
Phalsbourg n'était plus solide : il est tombé d'un
échafaudage en travaillant à son métier de charpentier, et
il s'est tué.
— Hélas! pauvre
Michel! dit Étienne, qui avait des larmes aux yeux ; et vous, enfants,
qu'allez-vous devenir ?
André voulu reprendre le
récit du malheur qui leur était arrivé, mais le brave
Étienne l'interrompit.
— Non, non, dit-il, je ne
veux rien entendre de plus maintenant, mes enfants ; vous êtes
mouillés par la pluie, il faut vous sécher au feu ; vous devez
avoir faim et soif, il faut manger.
Étienne aussitôt,
faisant suivre d'actions ses paroles, installa les enfants devant le poêle
et ranima le feu. En un clin d'oeil une bonne odeur d'oignons frits emplit la
chambre, et bientôt, la soupe bouillante fuma dans la
soupière.
— Mangez, mes enfants,
disait Étienne en fouettant les oeufs pour l'omelette au lard.
Pendant que les enfants
savouraient l'excellente soupe qui les réchauffait, le père
Étienne confectionnait son omelette, et la femme du sabotier, enlevant un
matelas de son lit, préparait un bon coucher aux petits voyageurs.
Le poêle ronflait
gaîment. André, tout en mangeant, répondait aux questions du
vieux camarade de son père et le mettait au courant de la
situation.
Quant au petit Julien, il avait
tant marché que ses jambes demandaient grâce et qu'il avait plus
sommeil que faim. Il lutta d'abord avec courage pour ne pas fermer les yeux,
mais la lutte ne fut pas de longue durée, et il finit par s'endormir avec
la dernière bouchée dans la bouche.
Il dormait si
profondément que la mère Étienne le déshabilla et le
mit au lit sans réussir à l'éveiller.