XVIII. — La cruche et la mère Gertrude.
— L'obligeance
Combien il est facile de se
faire aimer de tous ceux qui nous entourent ! Il suffit pour cela d'un peu
d'obligeance et de bonne volonté.
Julien,
tout craintif, n'osait s'approcher de dame Gertrude, qui, sans s'occuper de
l'enfant, s'était remise à sa machine à coudre et
travaillait avec activité, car elle ne perdait jamais une minute. Enfin
la petite vieille se leva, rangea son ouvrage avec soin, et prit sa cruche pour
aller à la fontaine. Elle passa près de Julien sans rien dire,
marchant toute voûtée, à pas lents, et respirant d'un air
fatigué.
L'enfant, en la regardant passer
ainsi, faible et cassée, se sentit ému. Il était
habitué à respecter les vieillards, et obligeant de son naturel.
Il sut donc vaincre la crainte qu'elle lui inspirer, il fit deux pas en courant
pour la rattraper et, tout rougissant, il lui demanda :
— Voulez-vous, madame, que
j'aille vous chercher de l'eau ?
La petite vieille surprise
releva la tête : — C'est que, dit-elle, j'ai peur que vous me
cassiez ma cruche.
— Oh ! que non, dit
l'enfant ; je vais bien faire attention, soyez tranquille.
Et lestement il partit à
la fontaine. Il revint bientôt, portant avec précaution la
précieuse cruche, qui, bien sûr, était plus vieille que lui,
car la mère Gertrude était si soigneuse qu'elle ne cassait jamais
rien ; aussi son antique mobilier avait-il l'air presque aussi respectable
qu'elle-même. La machine à coudre était le seul objet
moderne qui tranchât au milieu du reste.
Julien n'avait pas empli la
cruche jusqu'aux bords, crainte de mouiller ses vêtements ; en
arrivant, il la posa bien doucement pour ne pas répandre l'eau sur le
plancher reluisant. La mère Gertrude l'observait du coin de l'oeil avec
plaisir.
— Bon ! dit-elle,
vous êtes soigneux et de plus serviable : vous aimez à
épargner de la peine aux vieilles gens ; c'est bien, mon
enfant.
Et la petite vieille sourit si
amicalement à Julien qu'il se sentit tout réconforté.