CIX. – Retour à la
ville natale. – André et Julien obtiennent le titre de
Français. – La tombe de Michel Volden.
Le souvenir de ceux qui nous furent chers est dans la vie
comme un encouragement à faire le bien.
Après une semaine de fatigue
on arriva enfin en Alsace-Lorraine. On quitta le bateau à quelques
kilomètres de Phalsbourg ; nos voyageurs transportèrent leurs
malles et s'installèrent dans une auberge à bon marché
qu'ils connaissaient.
Puis l'oncle Frantz, usant de ses droits de tuteur
auprès des autorités allemandes, s'empressa de déclarer
pour ses neveux et pour lui même leur résolution de rester
Français et d'habiter en France. Comme ils étaient en règle
pour toutes les formalités nécessaires, acte en fut dressé
sans obstacle.
Alors l'oncle Frantz et les deux enfants se sentirent tout
émus d'être enfin arrivés au but qu'ils avaient poursuivi
avec tant d'énergie et de persévérance. Ils
songèrent à la France ; ils étaient heureux de lui
appartenir et d'avoir une patrie ; et cependant il ne restait plus devant
eux rien autre chose, ni maison, ni ville où l'on pût s'installer
et vitre tranquille : désormais il faudrait travailler sans
relâche pour gagner le pain quotidien jusqu'à ce qu'on eût
enfin un foyer, « une maison à soi », comme disait le
petit Julien. Mais ces trois âmes courageuses ne s'en effrayaient
pas : – Le devoir d'abord, disait l'oncle Frantz, le reste
ensuite !
Julien et André le coeur gros de souvenirs, suivaient
avec émotion les rues de la ville natale. On passa devant la petite
maison où Julien et André étaient nés, où
leur mère, où leur père étaient morts. Chemin
faisant on rencontrait des visages amis, de vieilles connaissances qui vous
souhaitaient la bienvenue, comme maître Hetman, l'ancien patron
d'André.
Après la maison paternelle, la première
où se rendirent les enfants fut celle de l'instituteur qui les avait
instruits, et auquel ils voulaient exprimer leur reconnaissance.
L'instituteur découvrit dans un coin de son jardin
quelques fleurs en avance sur le printemps, et Julien fit un gros bouquet de
ravenelles d'or et de pervenches bleues. Puis nos trois amis, dans une
même pensée, se dirigèrent vers le petit cimetière de
Phalsbourg.
Le soleil allait bientôt se coucher, empourprant
l'horizon, lorsqu'on arriva près de la tombe de Michel Volden. On
s'approcha de la petite plaque en fer qu'André avait lui-même
forgée pour y graver le nom de son père : puis on y
déposa le bouquet de Julien.
Alors de ces trois coeurs remplis de tendresse et de regrets
s'élevèrent intérieurement de belles et nobles
pensées.
L'oncle Frantz, immobile sur le gazon funèbre,
repassait en son âme les souvenirs de sa jeunesse ; il songeait aux
belles années passées en compagnie de ce frère qui dormait
son dernier sommeil au milieu des vieux parents, sur la terre natale devenue une
terre étrangère ! Il lui jurait en son coeur d'être le
père de ses deux orphelins.
Quant à André et à Julien, ils avaient
les yeux pleins de larmes : – Père, murmuraient-ils, nous
avons accompli ton voeu, nous sommes enfin les enfants de la France ;
bénis tes fils une dernière fois. Père, père, notre
coeur est resté tout plein de tes enseignements ; nous
tâcherons d'être, comme tu le voulais, dignes de la patrie, et pour
cela nous aimerons par-dessus toute chose le bien, la justice, tout ce qui est
grand, tout ce qui est généreux, tout ce qui doit faire que la
patrie française ne saurait périr.